Par William J. Broad 27 juin 2006
Ces dernières décennies, une poignée
de scientifiques a présenté d'importants
moyens futuristes pour combattre le réchauffement
global. Construire des pare-soleil en orbite pour refroidir
la planète. Bricoler les nuages pour qu'ils réfléchissent
plus de lumière dans l'espace. Duper les océans
pour qu'ils absorbent plus de gaz à effet de
serre piégeant la chaleur.
Leurs propositions étaient reléguées
à la limite de la science climatique. Peu de
journaux les auraient publié. Peu d'agences gouvernementales
auraient payé pour des études de faisabilité.
Les environnementalistes et les scientifiques traditionnels
disaient que l'on devait d'abord se concentrer sur la
réduction des gaz à effet de serre et
la prévention du réchauffement global.
Mais aujourd'hui, dans une volte-face, plusieurs scientifiques
éminents déclarent que les propositions
méritent une attention particulière à
cause des inquiétudes grandissantes sur le réchauffement
global.
Soucieux d'une crise planétaire potentielle,
ces responsables demandent aux gouvernements et aux
groupes scientifiques d'étudier des moyens exotiques
de réduire le réchauffement global, les
considérant comme de possibles positions de repli
si la planète nécessitait finalement un
refroidissement urgent.
"Nous devrions traiter ces idées comme
n'importe quelles autres recherches et sérieusement
les intégrer dans notre façon de penser",
dit Ralph J. Cicerone, président de l'Académie
Nationale des Sciences de Washington.
Les projets et les études proposées font
partie d'un domaine controversé connu sous le
nom de géoingénierie, ce qui signifie
réarranger l'environnement terrestre à
grande échelle pour l'adapter aux besoins humains
et promouvoir l'habitabilité. Le Docteur Cicerone,
un chimiste de l'atmosphère, détaillera
ses arguments en faveur des études de la géoingénierie
dans le numéro d'août du journal Climatic
Change (Changement Climatique).
Pratiquant ce qu'il prêche, le Docteur Cicerone
encourage aussi les scientifiques de premier plan à
entrer dans la bataille de la géoingénierie.
En avril, sur son invitation, Roger P. Angel, un célèbre
astronome de l'Université d'Arizona, s'est exprimé
à la réunion annuelle de l'Académie.
Le Docteur Angel a présenté un projet
pour mettre en orbite de petites lentilles qui dévieraient
la lumière solaire de la terre - plusieurs milliards
de lentilles d'environ 60 cm de largeur d'après
ses calculs, extraordinairement fines et pesant à
peine plus qu'un papillon.
En outre, le Docteur Cicerone s'est récemment
joint à une violente controverse pour savoir
si les idées de géoingénierie d'un
prix Nobel devaient être diffusées, et
il a aidé à faire accepter leur publication.
Le lauréat, Paul J. Crutzen de l'Institut Max
Planck de Chimie en Allemagne, est une célébrité
de la science atmosphérique qui a obtenu son
prix Nobel en 1995 pour avoir montré comment
les gaz industriels endommageaient le bouclier d'ozone
de la terre. Son rapport examine de façon nouvelle
les risques et les bénéfices d'essayer
de refroidir la planète en injectant du soufre
dans la stratosphère.
Le dossier "ne doit pas être considéré
comme une licence pour polluer", a déclaré
le Docteur Cicerone dans une interview, soulignant que
la plupart des scientifiques pensent que réduire
les gaz à effet de serre devrait être la
principale priorité. Mais il a ajouté:
"À mon avis, il a écrit un brillant
article".
"La géoingénierie n'est pas une
baguette magique" a dit le Docteur Cicerone. "Mais
utilisée correctement", a-t-il ajouté,
"elle agira comme une assurance si le monde fait
face un jour à une crise de surchauffement ayant
des répercussions comme la fonte des calottes
glaciaires, des sécheresses, des famines, une
montée du niveau de la mer et une inondation
des zones côtières".
"Beaucoup d'entre nous ont dit que nous n'aimions
pas l'idée de la géoingénierie"
a-t-il déclaré. Mais il a ajouté,
"nous devons y penser et apprendre, entre autre,
comment distinguer les propositions saines de celles
qui sont inefficaces ou dangereuses".
Beaucoup de scientifiques ridiculisent encore la géoingénierie
comme étant un rêve irresponsable comportant
plus de risques et d'effets annexes dangereux que de
bénéfices; ils l'appellent un remède
extrême, une bonne raison pour redoubler les efforts
pour réduire les gaz piégeant la chaleur
comme le dioxyde de carbone. Et les sceptiques du réchauffement
global induit par l'homme écartent la géoingénierie
comme un effort coûteux pour combattre un mirage.
Beaucoup d'analystes disent que l'importance de leurs
nouveaux avocats donne à cette science plus de
visibilité et de crédibilité et
augmente la possibilité que les dirigeants mondiaux
puissent un jour considérer prendre de telles
mesures d'urgence.
"Les gens avaient l'habitude de dire 'taisez vous,
le monde n'est pas prêt pour ça'",
dit Wallace S. Broecker, un pionnier de la géoingénierie
de Columbia, "peut être que le monde a changé".
Michael C. MacCracken, responsable scientifique de
l'Institut du Climat, un groupe de recherche privé
de Washington, a dit qu'il était résigné
au besoin de considérer sérieusement la
géoingénierie.
"C'est vraiment dommage", a dit le Docteur
MacCracken, "que les États-Unis et le monde
ne puissent pas faire beaucoup plus afin qu'il ne soit
pas nécessaire de devenir dépendant d'une
de ces propositions".
Martin A. Apple, directeur du Conseil des Présidents
de la Société Scientifique, a déclaré
à propos de la géoingénierie dans
une réunion récente à Washington,
"parlons du financement de la recherche avec suffisamment
de zéros pour que ça se remarque".
L'étude de contre-mesures futuristes a débuté
discrètement dans les années 60, comme
les scientifiques émettaient des théories
sur la possibilité que le réchauffement
global causé par les émissions humaines
puisse un jour être une menace sérieuse.
Mais peu de choses se sont passées jusqu'aux
années 80, quand les températures globales
ont commencé à augmenter.
Certains scientifiques ont remarqué que la terre
réfléchissait environ 30 pourcent de la
lumière solaire dans l'espace et absorbait le
reste. Une légère augmentation de la réflectivité,
raisonnaient ils, pourrait facilement contrebalancer
les gaz piégeant la chaleur, refroidissant ainsi
la planète.
Le Docteur Broecker de Columbia a proposé de
le faire en plaçant des tonnes de soufre dans
la stratosphère, comme le font occasionnellement
les éruptions volcaniques. Les injections, a-t-il
calculé dans les années 80, nécessiteraient
une flotte de centaines d'avions, et, comme effet secondaire,
augmenteraient les pluies acides.
En 1997, de telles visions futuristes trouvèrent
un éminent avocat dans la personne d'Edward Teller,
un des principaux inventeurs de la bombe H. "Injecter
des particules éparpillant la lumière
solaire dans la stratosphère semble être
une démarche prometteuse", écrivit
le Docteur Teller dans le Wall Street Journal. "Pourquoi
ne pas faire ça?"
Mais les agences gouvernementales rechignaient habituellement
à payer des chercheurs pour étudier de
telles idées avant-gardistes, et même celles
qui étaient plus pratiques. John Latham, un physicien
de l'atmosphère au Centre National de la Recherche
Atmosphérique du Colorado, a dit comment lui
et ses collègues avaient sans succès cherché
pendant des années à tester si la pulvérisation
d'un brouillard d'eau salée dans les nuages de
basse altitude au-dessus de l'océan pouvait augmenter
leur réflectivité.
"Nous n'avons pas trouvé de moyen d'y arriver"
a dit le Docteur Latham à propos du financement
gouvernemental, "ça a été
un peu décourageant".
D'autres projets nécessitaient d'étendre
une pellicule réfléchissante sur les déserts
ou de faire flotter des îles en plastique blanc
sur les océans comme moyen de réfléchir
plus de lumière solaire dans l'espace.
Une autre idée était de fertiliser la
mer avec du fer, créant de vastes floraisons
de plantes qui engloutiraient des tonnes de dioxyde
de carbone et, quand les plantes mourraient, entraîneraient
le carbone dans les abysses.
"La réaction générale à
de telles idées", a dit Alvia Gaskill, directeur
de Environmental Reference Materials Inc., une société
de conseil de Caroline du Nord qui recommande la géoingénierie,
"a été dédaigneuse et quelquefois
apeurée – craignant que nous ne sachions
pas ce que seraient les conséquences d'apporter
des changements à grande échelle de l'environnement".
Le Docteur Gaskill a dit que de petites expériences
autoriseraient les chercheurs à tout arrêter
si un tel bricolage commençait à mal tourner.
Les critiques de la géoingénierie soutenaient
qu'il était plus sensé d'éviter
le réchauffement global que de miser sur des
solutions risquées. Ils demandaient la réduction
de l'utilisation d'énergie, le développement
de sources alternatives d'électricité
et la diminution des gaz à effet de serre.
Mais les efforts internationaux comme le Protocole
de Kyoto - que les États-Unis nont jamais ratifié,
et auquel la Chine et l'Inde, comme membres des pays
en voie de développement, n'a jamais eu à
obéir, libérant leurs dirigeants actuels
et futurs des restrictions d'émission de gaz
à effet de serre - ont jusqu'à présent
échoué à diminuer la menace. Les
scientifiques estiment que la température de
surface de la terre pendant ce siècle pourrait
augmenter d'autant que 10°F.
Les avocats de la géoingénierie disent
que l'humanité altère déjà
grandement l'environnement global et doit simplement
le faire plus intelligemment.
Le Docteur Angel, l'astronome de l'Université
de l'Arizona, a parlé aux membres de l'Académie
des Sciences de son idée de pare-soleil en orbite,
décrivant la proposition comme moins importante
que le but d'encourager des idées audacieuses.
"Ceci pourrait engager une génération
entière" a-t-il dit dans une interview.
"Ce que je dis est, commençons à
penser à ce genre de choses dans le cas où
nous en aurions besoin un jour". De tels projets
visionnaires sont encore loin d'obtenir des louanges
universelles. James E. Hansen de l'Institut Goddard
pour les Études Spatiales de la NASA à
New York, qui a assisté à la discussion
et recommande fortement de réduire les émissions,
a déprécié le pare-soleil comme
"incroyablement difficile et peu réaliste".
Le Docteur Crutzen, le prix Nobel de l'Institut Max
Planck, a aussi été attaqué pour
son article sur l'injection de soufre dans la stratosphère.
"Il y a eu tollé passionné de la
part de plusieurs scientifiques éminents prétendant
que c'était irresponsable", se rappelle
Mark G. Lawrence, un scientifique états-unien
faisant également partie de l'Institut.
Le projet pour la stratosphère demande de combattre
une sorte de pollution (les gaz à effet de serre
excessifs comme le dioxyde de carbone) avec une autre
(le dioxyde de soufre), bien qu'il semble qu'une augmentation
du soufre à la surface de la terre serait faible
comparée à la quantité déjà
émise par les cheminées des centrales
à charbon.
Le Docteur Cicerone de l'Académie des Sciences
a aidé à obtenir un compromis. L'article
du Docteur Crutzen serait publié, mais avec plusieurs
commentaires, y compris les siens. Ils paraîtront
dans le numéro d'août de Climatic Change.
Les autres auteurs sont le Docteur Lawrence de l'Institut
de Chimie d'Allemagne, le Docteur MacCracken de l'Institut
du Climat, Jeffrey T. Kiehl du Centre National de la
Recherche Atmosphérique, et Lennart Bengtsson
de l'Institut Max Planck pour la Météorologie
en Allemagne.
Dans un brouillon de l'article, le Docteur Crutzen
estime le coût annuel de sa proposition sur le
soufre jusqu'à 50 milliards de dollars, ou environ
5 pourcent des dépenses militaires mondiales
annuelles.
"La manipulation du climat, comme présentée
ici, est la seule option disponible pour réduire
rapidement les augmentations de température si
les efforts internationaux échouent à
limiter les gaz à effet de serre", a écrit
le Docteur Crutzen.
"Jusqu'à présent", a-t-il ajouté,
"il y a peu de raison d'être optimiste".
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