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Le réchauffement atteint le "point de bascule"
 

Source: The Guardian 11 août 2005
https://www.guardian.co.uk/climatechange/story/0,,1546824,00.html

La Sibérie ressent la chaleur. C'est une tourbière de la taille de la France et de l'Allemagne combinées, contenant des milliards de tonnes de gaz à effet de serre, et pour la première fois depuis l'âge glaciaire, elle est en train de fondre.
Ian Sample, correspondant scientifique

Une vaste étendue de la Sibérie occidentale subit un dégel sans précédent qui pourrait énormément augmenter le taux du réchauffement global, avertissent aujourd'hui des scientifiques du climat.

Des chercheurs qui sont récemment revenus de la région ont découvert qu'une zone du pergélisol s'étendant sur 1 million de Km2 - la taille de la France et de l'Allemagne combinées - avait commencé à fondre pour la première fois depuis qu'il s'est formé il y a 11000 ans à la fin de la dernière période glaciaire.

La zone, qui couvre la totalité de la région sub-arctique de la Sibérie occidentale, est la plus grande tourbière gelée du monde et les scientifiques craignent que si elle fond elle relâchera des milliards de tonnes de méthane, un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, dans l'atmosphère.

C'est un scénario que les scientifiques du climat craignent depuis qu'ils ont identifié les "points de bascule" - des seuils délicats où une légère augmentation de la température terrestre peut causer un changement énorme de l'environnement qui lui-même déclenche une augmentation bien plus grande des températures.

La découverte a été faite par Sergei Kirpotin à l'Université d'État de Tomsk en Sibérie occidentale et Judith Marquand à l'Université d'Oxford et est rapporté dans le New Scientist aujourd'hui.

Les chercheurs ont trouvé que ce qui était jusqu'à récemment une étendue aride de tourbe gelée est en train de se transformer en un paysage accidenté de boue et de lacs, certains de plus d'un kilomètre de diamètre.

Le docteur Kirpotin a déclaré au magazine que la situation était un "glissement de terrain écologique qui est probablement irréversible et qui est indubitablement connecté au réchauffement du climat". Il a ajouté que le dégel avait probablement commencé dans les 3 ou 4 dernières années.

Les scientifiques du climat ont réagi hier avec inquiétude aux découvertes et ont averti que les prédictions des températures globales futures devraient être révisées à la hausse.

"Quand vous commencez à jouer avec ces systèmes naturels, vous pouvez aboutir à des situations où on ne peut plus les arrêter. Il n'y a pas de frein sur lequel appuyer" a déclaré David Viner, un scientifique haut placé de l'Unité de Recherche sur le Climat de l'Université d'East Anglia.

"C'est un gros problème parce que vous ne pouvez pas remettre le pergélisol une fois qu'il a disparu. L'effet causal est l'activité humaine et il va augmenter les températures encore plus que ce que font nos émissions".

Dans son dernier rapport important en 2001, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a prédit une augmentation des températures globales de 1.4 à 5.8 °C entre 1990 et 2100, mais l'estimation prend seulement en compte le réchauffement global entraîné par les émissions connues de gaz à effet de serre.

"Ces réactions positives avec des masses terrestres n'étaient pas connues à ce moment. Ils n'avaient aucune idée sur combien ça ajouterai au réchauffement global" a dit le docteur Viner.

La Sibérie occidentale se réchauffe plus rapidement que n'importe où ailleurs dans le monde, ayant connu une augmentation d'environ 3°C dans les 40 dernières années. Les scientifiques sont particulièrement inquiets au sujet du pergélisol, parce que, quand il dégèle, il dévoile la terre nue qui se réchauffe plus rapidement que la glace et la neige, et donc accélère le taux auquel le pergélisol dégèle.

Les tourbières de Sibérie ont produit du méthane depuis qu'elles se sont formées à la fin de la dernière période glaciaire, mais la plus grande partie du gaz était piégée par le pergélisol. D'après Larry Smith, un hydrologiste de l'Université de Californie à Los Angeles, la tourbière de Sibérie occidentale pourrait contenir 70 milliards de tonnes de méthane, un quart du méthane stocké dans la terre dans le monde.

"Le pergélisol mettra probablement au moins plusieurs décennies pour fondre, le méthane enfermé ne sera donc pas relâché dans l'atmosphère en une seule fois" dit Stephen Sitch, un scientifique du climat du Centre Hadley du Bureau Met à Exeter.

Mais les calculs du docteur Sitch et de ses collègues montrent que même si le méthane suintait du pergélisol pendant les 100 prochaines années, il ajouterait environ 700 millions de tonnes de carbone dans l'atmosphère chaque année, à peu près la même quantité relâchée annuellement dans le monde par les marais et l'agriculture.

En réalité, ça doublerait les niveaux atmosphériques de gaz, amenant une augmentation du réchauffement global de 10 à 25%, dit il.

Tony Juniper, directeur des Amis de la Terre, a dit que la découverte était un message sévère aux politiciens pour prendre des mesures concertées sur le changement de climat. "Nous savions à un certain degré que nous aurions ces réactions qui exacerbent le réchauffement global, mais ceci pourrait apporter une injection massive de gaz à effet de serre".

"Si nous ne prenons pas des mesures très rapidement, nous pourrions déclencher l'emballement du réchauffement global qui sera incontrôlable et qui amènera une dévastation sociale, économique et environnementale mondiale".

"L'hypothèse était que ne verrions pas ces genres de changements jusqu'à ce que le monde soit un peu plus chaud, mais ceci suggère que nous manquons de temps".

En mai de cette année, un autre groupe de chercheurs a rapporté des signes que le réchauffement global endommageait le pergélisol. Katey Walter de l'Université d'Alaska à Fairbanks a déclaré à une réunion du Consortium de la Recherche Arctique des États-Unis que son équipe avait trouvé des points névralgiques en Sibérie orientale. À ces endroits, le méthane jaillissait à la surface du pergélisol si rapidement qu'il empêchait la surface de regeler.

Le mois dernier, certains des pires pollueurs de l'air mondiaux, incluant les États-Unis et l'Australie, ont annoncé un partenariat pour réduire les émissions de gaz par l'utilisation de nouvelles technologies.

Le marché a été conclu après que Tony Blair ait lutté au sommet du G8 pour que le président des États-Unis, George Bush, s'engage sur quelque action concertée sur le changement de climat et a été fortement critiqué pour ne pas avoir défini de buts pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.