La Sibérie ressent la chaleur. C'est une
tourbière de la taille de la France et de l'Allemagne
combinées, contenant des milliards de tonnes
de gaz à effet de serre, et pour la première
fois depuis l'âge glaciaire, elle est en train
de fondre.
Ian Sample, correspondant scientifique
Une vaste étendue de la Sibérie occidentale
subit un dégel sans précédent qui
pourrait énormément augmenter le taux
du réchauffement global, avertissent aujourd'hui
des scientifiques du climat.
Des chercheurs qui sont récemment revenus de
la région ont découvert qu'une zone du
pergélisol s'étendant sur 1 million de
Km2 - la taille de la France et de l'Allemagne combinées
- avait commencé à fondre pour la première
fois depuis qu'il s'est formé il y a 11000 ans
à la fin de la dernière période
glaciaire.
La zone, qui couvre la totalité de la région
sub-arctique de la Sibérie occidentale, est la
plus grande tourbière gelée du monde et
les scientifiques craignent que si elle fond elle relâchera
des milliards de tonnes de méthane, un gaz à
effet de serre 20 fois plus puissant que le dioxyde
de carbone, dans l'atmosphère.
C'est un scénario que les scientifiques du climat
craignent depuis qu'ils ont identifié les "points
de bascule" - des seuils délicats où
une légère augmentation de la température
terrestre peut causer un changement énorme de
l'environnement qui lui-même déclenche
une augmentation bien plus grande des températures.
La découverte a été faite par
Sergei Kirpotin à l'Université d'État
de Tomsk en Sibérie occidentale et Judith Marquand
à l'Université d'Oxford et est rapporté
dans le New Scientist aujourd'hui.
Les chercheurs ont trouvé que ce qui était
jusqu'à récemment une étendue aride
de tourbe gelée est en train de se transformer
en un paysage accidenté de boue et de lacs, certains
de plus d'un kilomètre de diamètre.
Le docteur Kirpotin a déclaré au magazine
que la situation était un "glissement de
terrain écologique qui est probablement irréversible
et qui est indubitablement connecté au réchauffement
du climat". Il a ajouté que le dégel
avait probablement commencé dans les 3 ou 4 dernières
années.
Les scientifiques du climat ont réagi hier avec
inquiétude aux découvertes et ont averti
que les prédictions des températures globales
futures devraient être révisées
à la hausse.
"Quand vous commencez à jouer avec ces
systèmes naturels, vous pouvez aboutir à
des situations où on ne peut plus les arrêter.
Il n'y a pas de frein sur lequel appuyer" a déclaré
David Viner, un scientifique haut placé de l'Unité
de Recherche sur le Climat de l'Université d'East
Anglia.
"C'est un gros problème parce que vous
ne pouvez pas remettre le pergélisol une fois
qu'il a disparu. L'effet causal est l'activité
humaine et il va augmenter les températures encore
plus que ce que font nos émissions".
Dans son dernier rapport important en 2001, le Groupe
d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution
du Climat (GIEC) a prédit une augmentation des
températures globales de 1.4 à 5.8 °C
entre 1990 et 2100, mais l'estimation prend seulement
en compte le réchauffement global entraîné
par les émissions connues de gaz à effet
de serre.
"Ces réactions positives avec des masses
terrestres n'étaient pas connues à ce
moment. Ils n'avaient aucune idée sur combien
ça ajouterai au réchauffement global"
a dit le docteur Viner.
La Sibérie occidentale se réchauffe plus
rapidement que n'importe où ailleurs dans le
monde, ayant connu une augmentation d'environ 3°C
dans les 40 dernières années. Les scientifiques
sont particulièrement inquiets au sujet du pergélisol,
parce que, quand il dégèle, il dévoile
la terre nue qui se réchauffe plus rapidement
que la glace et la neige, et donc accélère
le taux auquel le pergélisol dégèle.
Les tourbières de Sibérie ont produit
du méthane depuis qu'elles se sont formées
à la fin de la dernière période
glaciaire, mais la plus grande partie du gaz était
piégée par le pergélisol. D'après
Larry Smith, un hydrologiste de l'Université
de Californie à Los Angeles, la tourbière
de Sibérie occidentale pourrait contenir 70 milliards
de tonnes de méthane, un quart du méthane
stocké dans la terre dans le monde.
"Le pergélisol mettra probablement au moins
plusieurs décennies pour fondre, le méthane
enfermé ne sera donc pas relâché
dans l'atmosphère en une seule fois" dit
Stephen Sitch, un scientifique du climat du Centre Hadley
du Bureau Met à Exeter.
Mais les calculs du docteur Sitch et de ses collègues
montrent que même si le méthane suintait
du pergélisol pendant les 100 prochaines années,
il ajouterait environ 700 millions de tonnes de carbone
dans l'atmosphère chaque année, à
peu près la même quantité relâchée
annuellement dans le monde par les marais et l'agriculture.
En réalité, ça doublerait les
niveaux atmosphériques de gaz, amenant une augmentation
du réchauffement global de 10 à 25%, dit
il.
Tony Juniper, directeur des Amis de la Terre, a dit
que la découverte était un message sévère
aux politiciens pour prendre des mesures concertées
sur le changement de climat. "Nous savions à
un certain degré que nous aurions ces réactions
qui exacerbent le réchauffement global, mais
ceci pourrait apporter une injection massive de gaz
à effet de serre".
"Si nous ne prenons pas des mesures très
rapidement, nous pourrions déclencher l'emballement
du réchauffement global qui sera incontrôlable
et qui amènera une dévastation sociale,
économique et environnementale mondiale".
"L'hypothèse était que ne verrions
pas ces genres de changements jusqu'à ce que
le monde soit un peu plus chaud, mais ceci suggère
que nous manquons de temps".
En mai de cette année, un autre groupe de chercheurs
a rapporté des signes que le réchauffement
global endommageait le pergélisol. Katey Walter
de l'Université d'Alaska à Fairbanks a
déclaré à une réunion du
Consortium de la Recherche Arctique des États-Unis
que son équipe avait trouvé des points
névralgiques en Sibérie orientale. À
ces endroits, le méthane jaillissait à
la surface du pergélisol si rapidement qu'il
empêchait la surface de regeler.
Le mois dernier, certains des pires pollueurs de l'air
mondiaux, incluant les États-Unis et l'Australie,
ont annoncé un partenariat pour réduire
les émissions de gaz par l'utilisation de nouvelles
technologies.
Le marché a été conclu après
que Tony Blair ait lutté au sommet du G8 pour
que le président des États-Unis, George
Bush, s'engage sur quelque action concertée sur
le changement de climat et a été fortement
critiqué pour ne pas avoir défini de buts
pour la réduction des émissions de gaz
à effet de serre.
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