Par Melinda Liu - Newsweek International - 4 juin
2006
2 juin 2006 – La saison des pluies a débuté
dans le nord de la Chine dans le meilleur des mondes.
En fait la saison des pluies naturelles ne commence
pas avant juillet. Mais la saison des pluies artificielles
est là, et les faiseurs de pluie chinois ont
été occupés. Le mois dernier ils
ont mobilisés les avions pour le saupoudrage
des nuages et l'artillerie et les fusées pour
améliorer la pluviosité. "Nous avons
ordonné à nouveau aux techniciens d'essayer
de faire pleuvoir aujourd'hui, mais ils n'ont pas encore
annoncé les résultats", dit Zhang
Qiang, qui ressemble à une femme d'affaires et
dirige le Bureau de la Modification du Temps de Pékin
(oui, c'est le nom officiel d'une vraie agence gouvernementale
chinoise)(https://www.bjmb.gov.cn/en/wmod.asp).
"Nous l'avons fait de nombreuses fois la semaine
dernière pour augmenter la pluviosité".
Non content de simplement faire pleuvoir, les modificateurs
du temps chinois sont engagés dans une autre
mission météorologique: aider à
garantir un temps parfait quand Pékin accueillera
les Jeux Olympiques en 2008. "En Chine, nous n'avons
pas encore fait ce genre de choses à très
grande échelle", a dit Zhang Qiang pendant
une interview dans un bâtiment abritant cinq canons
anti-aériens utilisés pour tirer des produits
chimiques dans les nuages. "Les russes ont de l'expérience
pour créer le beau temps et nous pouvons en apprendre
d'eux. Nous avons encore deux ans pour les tests. Je
suis sure que notre préparation pour les Jeux
se passera bien".
L'agence de Zhang, qui emploie trente personnes, fait
partie du gouvernement municipal de Pékin et
de l'administration météorologique nationale
chinoise. Son unité utilise deux avions et vingt
bases de lanceurs d'artillerie et de fusées pour
aider à modifier le temps autour de la ville.
Le printemps est la saison la plus chargée pour
les besoins de l'agriculture, mais, de plus en plus,
Zhang et ses collègues expérimentent la
modification du temps pour essayer de créer un
ciel bleu. Dans ce but ils ont passé presque
un mois et demi à rechercher les effets de certains
activateurs chimiques sur différentes tailles
de formations nuageuses à différentes
altitudes. Les météorologues chinois prétendent
que des efforts similaires ont aidé à
créer le beau temps pour de nombreux évènements
passés importants en Chine, y compris l'Exposition
Universelle de Yunnan, les Jeux Asiatiques de Shanghai
et le Festival des Pandas Géants de Sichuan.
Et pourquoi pas? La direction du gouvernement central
- dominée par des ingénieurs - a joué
avec Mère Nature depuis que le Parti Communiste
Chinois a pris le pouvoir. Ils ont construit le plus
grand barrage du monde, le chemin de fer le plus haut
du monde, et même la plus Grande Roue du monde
(à Nanchang, toujours en attente de vérification
par le le livre Guinness des records). Pourquoi ne pas
perfectionner la science du contrôle du climat?
Eh bien, il y a la petite question politique de se
qui se arrive si ça se passe mal. Du moins c'est
ce qu'avait Zhang à l'esprit le 30 septembre
1999, comme les dirigeants politiques se préparaient
frénétiquement pour la célébration
de la fête nationale à Pékin le
matin suivant. Marquant le cinquantième anniversaire
de la fondation de la République Populaire de
Chine, le 1° octobre devait être une grande
fête avec un défilé militaire, des
femmes miliciennes marchant au pas de l'oie en mini-jupes
rouges et un défilé aérien d'avions
et d'hélicoptères bourdonnant aux oreilles
des VIP chinois sur l'estrade au-dessus du square Tienanmen.
Mais il y avait un problème: un système
orageux menaçait de faire pleuvoir sur la parade
de Pékin. Les faiseurs de pluie chinois ont débattu
pour savoir s'il fallait provoquer une forte averse
juste avant le gala, augmentant les chances de ciel
bleu pour le grand jour. "J'étais à
mon poste", se rappelle Zhang. "J'avais l'intention
de modifier le temps en utilisant l'artillerie".
Mais Zhang s'inquiétait naturellement de l'imprévisibilité
de Mère Nature. "J'étais inquiète
de savoir que si les techniques que j'utilisais n'étaient
pas assez bonnes il pourrait y avoir un gros problème.
Je pouvais rendre les choses encore pire", reconnaît
Zhang, suggérant qu'elle aurait pu perdre son
poste. "Alors je n'ai rien osé faire. Au
soulagement de tous la pluie s'est arrêté
toute seule".
Au départ, l'idée était d'améliorer
les récoltes des fermiers chinois, qui composent
encore presque les trois quarts de la population de
1.3 milliards de personnes. Les scientifiques chinois
ont commencé à faire des recherches sur
les pluies artificielles en 1958, utilisant des produits
chimiques tels que l'iodure d'argent et la neige carbonique
pour aider à produire de la condensation dans
les nuages chargés d'humidité; de tels
efforts peuvent améliorer la pluviosité
pendant la saison des semences ou minimiser les effets
destructifs de la grêle. La lutte conte les incendies
est une autre fonction; l'automne dernier les autorités
du nord est de la Chine ont provoqué des pluies
artificielles pour assister 10000 pompiers combattant
un important feu de forêt dans la province de
Heilongjiang.
Aujourd'hui les faiseurs de pluie chinois sont parmi
les plus occupés au monde. Le budget national
de la modification du climat dépasse 50 millions
de dollars par an. Le 11° plan de 5 ans du régime
communiste, qui a débuté cette année,
demande la création de 48 à 60 milliards
de mètres cube de pluie artificielle annuellement.
Pékin en a besoin. C'est maintenant le moment
où les arbres fruitiers et les cultures nécessitent
de l'eau vitale; le nord desséché de la
Chine a été frappé par la sécheresse
depuis 1998. "Les précipitations normales
sont de 55 à 60 cm annuellement", dit Zhang,
mais Pékin en a eu seulement 45 l'année
dernière. Et la sécheresse a continué
autour de la capitale chinoise ce printemps, "alors
nous augmentons les chutes de pluie avec nos propres
moyens", dit Zhang. "Mais les efforts humains
ne peuvent résoudre entièrement le problème
de la sécheresse, ils peuvent augmenter la pluviosité
de seulement 10 à 15 pourcents".
Et Mère Nature est connue pour se retourner
sur celui qui la trafique. Les cartouches et les fusées
pour l'ensemencement se sont quelquefois perdues, abîmant
des maisons et blessant des habitants. Les citadins
ont exprimé des inquiétudes sur la pollution
environnementale, bien que les météorologues
insistent sur le fait que l'iodure d'argent est utilisée
en si petite quantité que ça n'apporte
pas de conséquences négatives sur la santé.
Et l'escalade des pluies artificielles est devenu si
intense en 2004 que cinq villages de la province de
Henan se sont chamaillés au sujet de "vols
de nuages", après que tous les nuages aient
été ensemencés simultanément
mais qu'un seul district n'ait reçu la part du
lion de pluie.
Cependant, les autorités chinoises ont découvert
que la micro-gestion du climat peut apporter un soulagement
psychologique de la chaleur et de la poussière.
En 2004, quand les températures accablantes sont
montées au-dessus de 35° en juillet, les
modificateurs du climat ont provoqué la pluie
pour faire cesser la vague de chaleur et réduire
la demande sur le réseau électrique surexploité
de la ville. "Shanghai a été la première
ville chinoise à utiliser des pluies artificielles
pour faire baisser les températures", se
vante Yu Zhaoyu du Bureau Météorologique
de la ville.
Ce printemps, Pékin a souffert de violentes
tempêtes de poussière inhabituelles, qui
tournoient depuis le désert de Gobi et recouvrent
la capitale de petits grains jaunes. Un jour d'avril
une tempête monstrueuse de poussière a
rejeté 300000 tonnes de sable sur Pékin,
d'après les médias locaux. La ville était
encore voilée de poudre sableuse quand la température
et les niveaux de pollution ont commencé à
augmenter il y a une semaine. Pour chasser la brume,
les techniciens du Bureau de Modification du Temps ont
tiré des fusées remplies de bâtonnets
d'iodure d'argent de la taille d'une cigarette dans
les nuages. Ça a fonctionné. Pékin
a apprécié ses plus fortes chutes de pluie
de l'année, ce qui a aidé "à
réduire la sécheresse, à ajouter
de l'humidité au sol et à enlever la poussière
pour une meilleure qualité de l'air", a
rapporté l'agence de presse officielle Xinhua.
L'idée de créer du beau temps a reçu
le support politique de l'ancien chef du parti chinois,
Jiang Zemin, après qu'il ait assisté a
une célébration en Russie marquant le
55° anniversaire de la fin de la seconde guerre
mondiale en 2000. Jiang a été impressionné
quand les russes ont provoqué la pluie pour nettoyer
les nuages avec succès pour la cérémonie.
"Quand nous reviendrons", a dit Jiang, "nous
devrions faire la même chose". "Nous
faisons de notre mieux pour être prêts pour
les Jeux Olympiques. Nous avons déjà réussi
a faire disparaître de petites formations de nuages.
Dissiper de plus grande formations qui couvrent des
centaines de milliers de kilomètres carré
reste un défi", dit Zhang. En tout cas,
les fortes pluies ne sont pas si nombreuses au mois
d'août, le mois où les Jeux de 2008 sont
prévus. Alors quand le moment viendra, les modificateurs
du climat pourraient ironiquement obtenir un peu d'aide
de Mère Nature. |