Oubliez un futur rempli de champs d'éoliennes
et de voitures à hydrogène. Le principal
concepteur d'armement du Pentagone dit qu'il a une solution
radicale qui arrêterai le réchauffement
global maintenant - peu importe quelle quantité
de pétrole nous brûlons.
Jeff Goodell
L'été dernier, un groupe élitiste
de scientifiques, économistes et officiels gouvernementaux
se sont réunis dans la station de ski de Snowmass
près d'Aspen, Colorado, pour envisager la fin
du monde. La réunion qui a duré une semaine,
tenue à l'ombre des 4200 mètres des hautes
cimes en haut du village, était organisé
par le Forum de la Modélisation de l'Énergie,
un groupe d'universitaires et de patrons de l'industrie
affiliés à l'Université de Stanford.
Quelques mois plus tard, John Weyant, un professeur
de Stanford directeur du groupe, a demandé aux
participants de considérer un scénario
de cauchemar: nous sommes en 2010 et le réchauffement
climatique ne se produit pas seulement, il est en train
de s'accélérer. La couverture du Groenland
et de l'Antarctique de l'ouest fondent à un rythme
exponentiel, amenant à une prévision d'une
montée des océans de 6 mètres avant
2070. Dans ce scénario, le sud de la Floride
disparaît, New-York devient un aquarium et Londres
ressemble à Venise. Au Bangladesh seulement,
40 millions de personnes sont déplacées
par la montée des eaux. Les sécheresses
paralysent la production de nourriture, amenant une
famine de grande ampleur. Si vous devez arrêter
soudainement les émissions de dioxyde de carbone,
a demandé Weyant, comment - à moins d'arrêter
l'économie - le feriez vous?
Prolonger les scénarios de ciel bleu n'est rien
de neuf pour ces gens. Mais il y avait une urgence supplémentaire
dans cet exercice parce que ce n'était plus un
ciel entièrement bleu. En Arctique, les choses
sont déjà en train de devenir bizarres.
Les températures ont augmenté trois fois
plus vite que la moyenne globale. L'année dernière,
des scientifiques ont découvert qu'une partie
de la calotte glaciaire polaire de deux fois la taille
du Texas avait fondue depuis que la NASA avait commencé
à compiler les données des satellites
il y a 27 ans. Certaines études suggèrent
que la glace de l'océan arctique pourrait disparaître
avant la fin du siècle. Les plaques de glace
géantes qui couvrent le Groenland - dont on avait
prévu l'augmentation pour encore un siècle
- se comportent aussi étrangement. "Nous
avions finalement tort", dit Richard Alley, un
paléoclimatologue réputé de Penn
State. "Les calottes glaciaires rétrécissent,
et elles le font avec presque un siècle d'avance
sur ce qui était prévu".
Il était clair à l'atelier de Snowmass
qu'arrêter soudainement les émissions responsables
du réchauffement global nécessiterait
plus que d'investir dans des éoliennes. Dans
une présentation, Jae Edmonds, responsable scientifique
au Northwest National Laboratory, a suggéré
que la seule façon de réduire radicalement
les émissions sans arrêter l'économie
serait de remplacer le charbon et le pétrole
par des biocarburants issus de produits génétiquement
modifiés, qui non seulement réduiraient
la pollution mais absorberaient du dioxyde de carbone
pendant leur croissance. Mais un tel changement nécessiterait
une expansion massive de l'agriculture, de considérables
changement dans l'infrastructure énergétique
mondiale, une direction politique audacieuse et des
trillions de dollars.
Puis Lowell Wood s'est approché du podium. Âgé
de 65 ans, Wood est un homme gros et ébouriffé,
grand et large comme un silo de missile, avec une barbe
rousse et des yeux bleu pale qui brûlent comme
une lueur thermonucléaire. Dans les milieux scientifiques,
Wood est une étoile sombre, le protégé
d'Edward Teller, le père de la bombe H et architecte
du programme de défense anti-missile Star Wars
de l'époque Reagan. Comme physicien du Lawrence
Livermore National Laboratory en Californie pendant
plus de quatre décennies, Wood a longtemps été
un des principaux concepteurs d'armement du Pentagone,
le gourou sur lequel l'agence s'appuyait pour l'estimation
des menaces et le développement des armes. Wood
est tristement célèbre pour être
le champion de la science extrémiste, des lasers
à rayons X aux réacteurs nucléaires
à fusion froide, ainsi que pour sa longue affiliation
avec l'institution Hoover, un groupe de réflexion
d'extrême droite du campus de Stanford. Tout le
monde à Snowmas connaissait la réputation
de Wood. Pour certains il était un brillant penseur
ouvert aux idées originales; pour les autres,
il était une incarnation de la science extrême
qui tourne mal.
Wood a connecté son ordinateur portable, a projeté
sa première diapositive sur l'écran et
s'est mis au travail: qu'en est il si la réflexion
conventionnelle sur comment faire face au réchauffement
global était mauvaise? Et si on pouvait éviter
les projets d'échange de carbone, les traités
internationaux, l'impasse politique et résoudre
finalement le problème? Et si le coût pour
commencer n'était pas des trillions mais 100
millions de dollars par an - moins que le prix d'un
champ d'éoliennes de bonne taille?
La proposition de Wood n'était pas technologiquement
complexe. Elle est basée sur une idée,
bien établie par les scientifiques de l'atmosphère,
que les éruptions volcaniques altèrent
le climat pendant des mois en chargeant le ciel de minuscules
particules qui agissent comme des mini réflecteurs,
masquant la lumière du soleil et refroidissant
la terre. Pourquoi ne pas appliquer le même principe
pour sauver l'Arctique? Mettre les particules dans l'atmosphère
ne serait pas un problème, on pourrait les produire
facilement en brûlant du soufre puis larguer les
particules à partir de 747 volant à haute
altitude, les répandant dans le ciel avec de
gros tuyaux ou même les envoyer avec de l'artillerie
navale. Elles seraient invisibles pour l'œil humain,
soutient Wood, et inoffensives pour l'environnement.
En fonction du nombre de particules injectées,
on pourrait non seulement stabiliser la calotte glaciaire
du Groenland mais on pourrait la faire grossir. Les
résultats seraient rapides: si on commençait
à épandre des particules dans l'atmosphère
demain, on verrait des changements sur la glace en quelques
mois. Et si ça marchait au-dessus de l'Arctique,
ce serait assez simple d'étendre le programme
pour couvrir le reste de la planète. En fait
on pourrait créer un thermostat global, que les
gens pourraient augmenter ou diminuer pour répondre
à leurs besoins (ou à ceux des ours polaires).
La réaction à la proposition de Wood
a été rapide et furieuse. Quelques scientifiques
présents, y compris Richard Tol, un modeleur
du climat de l'Economic and Social Research Institute
de Dublin en Irlande, a trouvé que les idées
de Wood méritaient davantage de recherches. D'autres,
cependant, ont été outragés par
la proposition non scientifique, spéculative
et carrément arrogante de ce... ce concepteur
d'armement. Le climat terrestre, a soutenu un scientifique,
est un système chaotique, envoyer des particules
dans l'atmosphère pourrait avoir des conséquences
inattendues, comme augmenter le trou dans la couche
d'ozone, que nous ne pourrions découvrir qu'une
fois le mal fait. Qu'en est il si si les particules
avaient un effet sur la formation des nuages, entraînant
des sécheresses inattendues sur l'Europe du nord?
Bill Nordhaus, un économiste de Yale, s'inquiète
des implications politiques: n'est ce pas simplement
une façon d'autoriser l'utilisation de plus de
combustible fossile, comme donner de la méthadone
à un accro de l'héroïne? Si les gens
croient qu'il y a une solution au réchauffement
global qui ne nécessite pas de choix difficiles,
comment pourrons nous argumenter sur le fait qu'ils
doivent changer leur vie et réduire les émissions?
Weyant, surpris par le débat "religieux
et émotionnel" à propos de la proposition
de Wood, a arrêté la discussion avant qu'elle
ne se transforme en pugilat. Mais Wood a été
enchanté par le grabuge. "Oui, il y a eu
quelques discussions animées", s'est il
vanté à moi quelques jours plus tard.
"Mais un nombre surprenant de personnes m'ont dit:
pourquoi n'avons nous pas entendu parler de ça
avant, pourquoi ne faisons nous pas ça?"
Puis Wood a exhibé un sourire diabolique. "Je
pense que quelques uns d'entre eux étaient prêts
pour passer du côté sombre".
Le réchauffement global, comme l'a dit Al Gore
récemment, "est la seule crise à
laquelle nous ayons jamais fait face qui a la capacité
de mettre fin à la civilisation". La solution
ultime n'est pas un mystère: parmi les scientifiques
du climat, un consensus s'est développé
qui est que nous devons réduire les émissions
projetées au moins de moitié avant l'année
2050. Mais un petit nombre de scientifiques éminents
ont commencé à suggérer que la
réduction de la pollution ne peut simplement
pas être accomplie assez rapidement pour empêcher
un crash planétaire. "Ce n'est pas un but
qui peut être atteint avec la technologie énergétique
actuelle", dit Marty Hoffert, un physicien de l'Université
de New York. "Je pense que nous devons l'admettre
et commencer à penser à quelque chose
de plus gros".
D'après Hoffert, les 850 centrales à
charbon dont la construction est prévue la prochaine
décennie ou à peu près dans le
monde émettront cinq fois plus de dioxyde de
carbone que la réduction apportée par
le traité de Kyoto sur le réchauffement
global. Ajoutez à cela 100 millions de nouveaux
riches chinois se promenant dans leurs 4x4, et vous
pouvez voir pourquoi un nombre grandissant de scientifiques
croient que nous approchons d'une catastrophe climatique
plus rapidement que nous ne le pensons. Paul Crutzen,
un chimiste de l'atmosphère respecté qui
a obtenu un prix Nobel pour son travail de pionnier
sur la diminution de l'ozone, a récemment suggéré
qu'il était temps de considérer des options
de "dernier recours" - y compris l'idée
proposée par Wood et d'autres d'envoyer des particules
de soufre dans l'atmosphère.
Pour ses collègues, la volonté de Crutzen
de considérer une intervention délibérée
sur le climat de la planète est un signe que
le débat sur le réchauffement global a
changé. "Voici un type qui en connaît
plus sur l'atmosphère de la terre que n'importe
qui d'autre vivant, et il nous dit que la situation
est si désespérée que nous devons
penser à intervenir sur l'atmosphère au
niveau planétaire", m'a dit un scientifique
du climat. "Bien sur c'est effrayant, mais d'un
point de vue scientifique c'est aussi très intéressant".
Jusqu'à récemment les discussions sur
la géoingénierie - la manipulation intentionnelle
à grande échelle du climat terrestre -
étaient taboues parmi les scientifiques. Le sujet
est largement considéré non seulement
comme une distraction dangereuse du travail sérieux
sur la réduction des émissions mais aussi
comme presque immoral. Lester Brown, un des parrains
du mouvement environnementaliste et président
du Earth Policy Institute, voit la géoingénierie
comme "une autre étape de l'administration
de la planète - une chose pour laquelle nous
avons déjà prouvé ne pas être
très doués. Le principe de la géoingénierie
est basée sur une supposition que nous savons
comment tout cela fonctionne, alors qu'en fait nous
n'en avons aucune idée". Burton Richter,
un prix Nobel de physique, écarte aussi l'idée,
soutenant que "empiler un problème non compris
par dessus un autre problème non compris n'est
pas très futé". L'idée a été
repoussée il y a quelques mois quand Stewart
Brand, fondateur du Whole Earth Catalog et partisan
de la géoingénierie a assisté à
une réunion avec Al Gore et suggéré
de placer un écran solaire géant dans
l'espace pour refroidir la planète.
"Gore m'a regardé comme si j'étais
fou", se rappelle Brand. Il a perdu son sang froid,
"d'accord Brand, faisons une expérimentation
avec la planète entière".
Mais bien sur nous menons déjà des expériences
avec la planète entière - ça s'appelle
la civilisation. Pour continuer à faire fonctionner
cette civilisation nous déversons des milliards
de tonnes de CO2 dans l'atmosphère chaque année
et nous commençons seulement à en comprendre
l'impact. "En effet, nous manipulons déjà
le climat", dit Ken Caldeira, un scientifique haut
placé du Carnegie Institution's Department of
Global Ecology de Stanford qui a collaboré avec
Wood sur la proposition "Sauver l'Arctique".
"Nous ne voulons juste pas l'admettre. On peut
discuter sur le fait que la seule réelle différence
entre ce que nous faisons aujourd'hui et ce que les
avocats de le géoingénierie proposent
est une affaire d'intention. Et franchement, l'atmosphère
n'en a rien à faire de ce qui se passe dans nos
têtes".
Plusieurs scientifiques qui soutiennent l'idée
de gérer activement le climat terrestre croient
qu'il est simplement trop tard pour s'appuyer sur une
approche plus graduelle du réchauffement global.
James Lovelock, qui a forgé l'hypothèse
de Gaïa, comme quoi la planète est un organisme
vivant unique, dans les années 60, compare la
géoingénierie à la chimiothérapie.
"Il y a seulement une petite chance de sauver le
patient, mais nous devons l'essayer", dit Lovelock.
"C'est une stratégie de survie, un canot
de sauvetage qui prend l'eau".
Wood, dont Lovelock fait l'éloge comme un "homme
de grande inventivité", comprend comment
cette idée est moralement accablante, et comment
elle soulève à nouveau une question fondamentale
sur notre relation avec le monde dans lequel nous vivons
- est ce que nous sommes les gardiens de la terre ou
ses maîtres? En fait, la subversion même
de la géoingénierie pourrait être
une raison pour Wood de la soutenir. "Lowell apprécie
de tenir le rôle du Docteur Maléfique",
dit Caldeira, dont la propre orientation politique est
solidement environnementaliste de gauche. "Mais
il lui arrive aussi d'être génial. Et il
est une des seules personnes que je connaisse qui pense
au côté pratique de la façon d'administrer
vraiment le climat terrestre. Je ne pense pas vraiment
à lui comme un scientifique - il est un ingénieur
de la planète".
Ceci est un extrait de nouveau numéro de Rolling
Stone, dans les kiosques jusqu'au 16 novembre 2006. |