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Géoingénierie
Un article pour l'Encyclopédie du Changement
Global devant être publié par la Presse
de l'Université d'Oxford en février 2000.
David W. Keith, Département de chimie et de biologie
chimique, Université d'Harvard, Juillet 1998
Introduction
La géoingénierie est la manipulation intentionnelle
à grande échelle de l'environnement global.
Le terme a habituellement été appliqué
aux propositions pour manipuler le climat avec l'intention
principale de réduire les changements climatiques
non désirés causés par l'influence
humaine. Ces projets de géoingénierie
cherchent à atténuer l'effet de la combustion
de carburants fossiles sur le climat sans diminuer l'utilisation
de ces carburants; par exemple en plaçant des
boucliers dans l'espace pour réduire la lumière
solaire incidente sur la terre.
Les réponses possibles au problème de
changement de climat anthropique se placent dans ces
3 grandes catégories: diminution des impacts
humains par la réduction du forçage du
climat, adaptation pour réduire l'impact du climat
altéré sur les systèmes humains
et intervention délibérée sur le
système climatique pour contrer l'impact de l'homme
sur le climat - la géoingénierie.
Le point principal dans la définition habituelle
de la géoingénierie est que la manipulation
de l'environnement soit délibérée,
et qu'elle soit le but principal plutôt qu'un
effet annexe. Cette distinction est au coeur des inquiétudes
morales et légales considérables à
propos de la géoingénierie. Par exemple,
alors qu'on pourrait prétendre que l'agriculture
moderne constitue une forme de géoingénierie,
les transformations à l'échelle globale
causées sur le cycle de l'azote sont un effet
annexe à la production de nourriture, et sont
habituellement considérées différemment
de la modification délibérée de
l'environnement global.
Les considérations explicites de la modification
du climat global par l'homme datent d'aussi loin que
Arrhenius, qui fut le premier à analyser le rôle
du CO2 dans la régulation du climat. En 1908,
il suggéra que le réchauffement résultant
de la combustion de carburants fossiles pourrait augmenter
les réserves de nourriture en permettant à
l'agriculture de s'étendre vers le nord.
Les analyses sporadiques du potentiel pour la modification
du climat global ont continué à travers
la première moitié du siècle. Les
années 50 et 60 ont vu un intérêt
accru dans la possibilité de contrôler
le temps et le climat au bénéfice de l'homme.
Les discussions sur l'ingénierie du climat comme
moyen de contrebalancer les influences humaines destructrices
ont commencé dans les années 70, à
un moment d'inquiétude grandissante sur les effets
négatifs du changement technologique.
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Exemples de propositions de géoingénierie
Les propositions d'ingénierie du climat peuvent
être utilement classées en fonction de
leur mode d'action. La plupart des propositions pour
atténuer le changement de climat s'appuient sur
l'altération des flux énergétiques
globaux grâce à une ou deux stratégies:
augmenter la quantité de radiations infrarouges
re-rayonnées par la réduction du CO2 atmosphérique,
ou diminuer la quantité de radiations solaires
absorbées par l'augmentation de l'albédo.
Le peu de propositions qui se situent en dehors de cette
catégorisation impliquent la modification des
courants océaniques (par exemple: R.G. Johnson,
“Le contrôle du climat nécessite
un barrage au détroit de Gibraltar” EOS
(78 (1997): 277-281). Bien que non considéré
dans cet article, la
géoingénierie a occasionnellement été
proposée pour des problèmes non climatiques
tels que la diminution de l'ozone.
Les projets de modification de l'albédo visent
à compenser l'effet de l'augmentation du CO2
sur l'équilibre radiatif global, et ainsi sur
la température moyenne de surface. Un changement
d'albédo d'environ 1.5% est nécessaire
pour compenser l'effet d'un doublement du CO2. Même
si une compensation parfaite de l'équilibre radiatif
pouvait être obtenue, le climat résultant
serait quand même significativement altéré.
Les changements de climat résulteraient du changement
de la distribution verticale et en latitude du réchauffement
de l'atmosphère. De plus, l'augmentation du CO2
aurait des effets substantiels sur la croissance des
plantes indépendamment de son effet sur le climat.
Ces effets ne peuvent pas être compensés
par une augmentation de l'albédo. Le reste de
cette partie esquisse cinq projets de géoingénierie
sélectionnés pour étudier la large
gamme de risques et les coûts impliqués.
Le tableau 1 résume les différents projets
de géoingénierie.
Aérosols stratosphériques
Les aérosols influencent les flux radiatifs soit
directement par dispersion optique et re-radiation,
soit indirectement en augmentant l'albédo et
la durée de vie des nuages. Il semble que les
aérosols de sulfates anthropiques puissent actuellement
influencer le budget des radiations globales d'environ
1W m-2 - suffisant pour contrer une grande partie de
l'effet de l'augmentation de CO2. Budyko fut le premier
à suggérer l'augmentation de l'albédo
par l'injection de SO2 dans la stratosphère où
il imiterait l'action des grands volcans sur le climat.
L'injection d'environ 1 million de tonnes par an dans
la stratosphère contrerait à peu près
l'effet d'un doublement de CO2 sur l'équilibre
radiatif global.
Plusieurs technologies alternatives directes existent
pour injecter le sulfate nécessaire dans la stratosphère
pour un coût insignifiant
comparé aux autres méthodes de modification
du climat.
Le problème le plus sérieux avec ce plan
pourrait être l'effet des aérosols sur
la chimie stratosphérique. Le trou dans la couche
d'ozone en Antarctique a nettement démontré
la complexité de la dynamique de la chimie dans
la stratosphère et la susceptibilité résultante
de la concentration d'ozone en fonction des aérosols.
L'élaboration récente de ce plan s'est
concentrée sur l'adaptation des propriétés
de dispersion des particules et sur le choix de particules
chimiquement inertes. En fonction de la taille des particules
utilisées, la
couche d'aérosols pourrait rendre le ciel diurne
plus blanc. Une telle transformation est un des
problèmes d'évaluation classique posé
par la géoingénierie: Quelle valeur donne-t-on
a un ciel bleu?
Boucliers dans l'espace
La possibilité de protéger la terre avec
des miroirs en orbite est le projet de géoingénierie
le plus extravagant technologiquement. Bien que cher,
il a de nets avantages par rapport aux autre options
de géoingénierie. Parce que les écrans
solaires apportent une altération "propre"
de la constante solaire, leurs effets annexes seraient
à la fois moins significatifs et plus prévisibles
que pour d'autres projets de modification de l'albédo.
En supposant que les boucliers soient orientables, leur
effet pourrait être supprimé à volonté.
De plus, des boucliers orientables pourraient être
utilisés pour diriger les radiations sur des
zones spécifiques, offrant la possibilité
de contrôler le temps.
La plupart des discussions sur les boucliers solaires
supposent qu'ils seraient placés en orbite basse
de la terre; cependant, de tels écrans se comportent
comme des voiles solaires et seraient rapidement poussés
hors de leur orbite par cette même lumière
solaire qu'ils sont censés bloquer. Ce problème
a été reconnu par Seifritz qui a proposé
d'utiliser un seul bouclier de 2000 Km de rayon au point
de Lagrange entre la terre et le soleil. Un tel écran
serait stable avec peu de contrôle actif.
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Une estimation grossière du coût peut être
faite en supposant qu'il est dominé par celui
du transport de la masse nécessaire en orbite.
Des estimations détaillées des densités
minimales nécessaires peuvent être trouvées
dans la littérature sur les voiles solaires.
Elles varient entre 2 et 10 gm m-2 (incluant la structure
porteuse). La masse d'un système nécessaire
pour réduire le flux solaire de 1.5% est de 1
à 5 millions de tonnes.
Séquestration du CO2 de la combustion de carburants
fossiles
L'impact climatique dû à l'utilisation
d'énergie fossile peut être réduit
en capturant le carbone résultant et en le séquestrant
en dehors de l'atmosphère. Le carbone peut être
capturé en séparant le CO2 des produits
de combustion ou en réformant le carburant pour
produire une partie du carburant enrichi en hydrogène
pour la combustion et une partie enrichie en carbone
pour la séquestration. Les technologies liées
de séparation et de séquestration sont
souvent appelées "la gestion du carbone".
Durant les années 90, un programme de recherche
global sur la gestion du carbone a vu le jour et a montré
des progrès substantiels dans les technologies
nécessaires et une meilleure compréhension
du potentiel de la séquestration géologique
et océanique du CO2. Motivée par les inquiétudes
sur le changement de climat, la
séquestration à grande échelle
du CO2 a déjà commencé;
Statoil, société norvégienne, injecte
du CO2 séparé du gaz naturel dans un un
puits souterrain sous la Mer du Nord. D'autres projets
sont prévus, ainsi que diverses expériences
pilotes de séquestration.
Alors que la gestion du carbone apparaît comme
une option plausible à court terme pour réduire
les émissions de CO2, le degré auquel
cela constitue de la géoingénierie est
sujet à controverse; les partisans soutenant
que c'est une diminution alors que les opposants prétendent
que c'est de la géoingénierie. En fait,
la gestion du carbone occupe une place ambiguë
dans la taxinomie conventionnelle réduction/adaptation/géoingénierie
soulignée ci-dessus. Le terme géoingénierie
a été créé au début
des années 70 par Marchetti qui proposa que l'on
se débarrasse du CO2 issu de la combustion dans
les océans. La séquestration océanique
constituerait une intervention délibérée
dans le cycle du carbone. Il semble donc légitime
de lui apposer l'étiquette géoingénierie.
Cependant, les centrales "zéro émissions"
proposées, qui n'émettraient rien dans
l'atmosphère et séquestreraient leurs
émissions de CO2 dans des formations géologiques
stables, peuvent être perçues comme une
nouvelle forme de réduction.
Un grand nombre d'études récentes d'ingénierie
ont abordé la faisabilité technique de
la capture du CO2 des centrales et sa compression pour
la séquestration dans l'océan ou sous
terre. Le consensus approximatif des études est
comme suit:
-Pour les nouvelles centrales électriques, le
coût additionnel amorti de la capture et de la
séquestration du CO2 augmenterait le prix de
l'électricité de 30 à 150%, un
coût moindre que le coût actuel des sources
d'énergie alternatives non-fossiles tel que le
solaire.
-Le coût serait substantiellement plus élevé
pour ré-équiper des centrales existantes.
-La plus grande partie du coût vient de la séparation
du CO2 des autres gaz d'échappement, plutôt
que de sa compression et séquestration.
Le carbone peut aussi être capturé des
combustibles fossiles en les réformant pour produire
de l'hydrogène et du CO2. Si l'hydrogène
était utilisé comme porteur énergétique
principal - une voie proposée pour la "dé-carbonisation"
du système énergétique - alors
l'avantage financier existant de la gestion du carbone
sur les alternatives non-fossiles est augmenté
à cause des avantages techniques de la production
d'hydrogène thermochimique par rapport à
électrochimique.
Le carbone issu de la combustion de carburants fossiles
peut être séquestré dans des formations
géologiques ou dans les océans. Les options
pour la séquestration géologique sont
résumées ci-après. Trois types
de réservoirs ont été considérés
sérieusement: les champs de pétrole et
de gaz épuisés (capacité globale
~200-500 GtC), les couches de charbon profondes (~100-200
GtC), et les puits salins souterrains (~100-1000 GtC).
Des questions subsistent sur la stabilité à
long terme de ces réservoirs, particulièrement
des champs de pétrole et de gaz. Dans le reste
de cette section nous nous focaliserons sur la séquestration
océanique parce qu'elle constitue nettement de
la géoingénierie.
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On peut voir le changement de climat induit par le CO2
comme un problème de discordance au niveau temporel.
C'est à cause du taux auquel la combustion des
carburants fossiles transfère le carbone des
réservoirs terrestres anciens vers le réservoir
atmosphérique, petit en comparaison. Quand le
CO2 est émis dans l'atmosphère, l'équilibrage
atmosphère-océan en transfère ~80%
dans les océans sur une échelle de temps
exponentielle de ~300 ans. Le CO2 atmosphérique
restant est supprimé à beaucoup plus longue
échéance. Injecter du CO2 dans les profondeurs
des océans accélère cet équilibrage,
réduisant les pics de concentration atmosphérique.
L'efficacité de l'équilibrage dépend
de l'endroit et de la profondeur de l'injection. Par
exemple, une injection à ~700m de profondeur
dans le courant Kuroshio au large du Japon résulterait
en un retour du CO2 dans l'atmosphère en ~100
ans, alors que les injections qui ont formé des
"lacs" de CO2 dans les tranchées de
l'océan accéléreraient plus efficacement
l'équilibrage du CO2 avec les réservoirs
profonds de carbonate de calcium.
La nature dynamique du cycle marin du carbone empêche
de définir une capacité statique unique,
comme ça pourrait être fait avec la séquestration
géologique. En fonction de l'augmentation de
l'acidité moyenne des océans supposée
acceptable, la capacité est de l'ordre de ~10000-100000
gigatonnes de carbone (GtC), beaucoup plus que les émissions
anthropiques actuelles de ~6 GtC par an.
En considérant les implications de la séquestration
océanique on doit noter que - en fonction du
lieu de l'injection - environ 20% du carbone retourne
dans l'atmosphère sur l'échelle de temps
de ~300 ans.
Fournir l'énergie nécessaire pour séparer,
compresser et injecter le CO2 implique que l'on doive
utiliser plus de combustibles fossiles que si le CO2
était évacué dans l'atmosphère.
Donc, alors que la séquestration
océanique peut réduire le pic de concentration
atmosphérique de CO2 causé par l'utilisation
d'une quantité donnée d'énergie
dérivée des combustibles fossiles, elle
augmente la concentration atmosphérique résultante
sur une échelle de temps supérieure à
~500 ans.
Fertilisation de la surface des océans
Le carbone pourrait être supprimé de l'atmosphère
en fertilisant la "pompe biologique" qui maintient
le déséquilibre de la concentration de
CO2 entre l'atmosphère et les profondeurs de
l'océan. L'effet net de l'activité biologique
à la surface de l'océan est de lier le
phosphore, l'azote et le carbone en dépôts
organiques avec un rapport de ~1:15:130 (ceci inclut
le carbone supprimé comme CaCO3) jusqu'à
ce que tous les nutriments limitatifs - habituellement
le phosphore - soient épuisés. Les dépôts
tombent alors dans les profondeurs de l'océan
fournissant l'action de pompage.
Une simple interprétation de ce rapport suggère
qu'ajouter du phosphate à la surface de l'océan
devrait enlever du CO2 du système surface atmosphère-océan
dans un rapport molaire de ~130:1. Le modèle
de premier ordre de la biologie ignore l'équilibre
phosphate-nitrate. Ajouter du phosphate au système
sans ajouter de nitrate supprimerait seulement le carbone
dans ce rapport si l'écosystème se décalait
pour favoriser la fixation de l'azote.
Dans certaines zones des océans du sud, le nutriment
limitatif pourrait être le fer, pour lequel le
rapport molaire Fe:C dans les dépôts est
de ~1:10000, impliquant que le fer peut être un
engrais très efficace de la biote de surface
de l'océan. Cette idée a reçu une
attention considérable et a stimulée certaines
recherches de valeur. La fertilisation par le fer a
été démontrée sur site,
mais il n'est pas sur que la suppression maintenue du
carbone soit réalisable.
La fertilisation des océans aurait des effets
annexes significatifs. Par exemple, elle pourrait diminuer
l'oxygène dissout entraînant l'augmentation
d'émission de méthane - un gaz à
effet de serre.
Reboisement
La gestion des forêts à grande échelle
ou le reboisement dans le but de supprimer le CO2 atmosphérique
est une forme de géoingénierie (notez
que la définition est inévitablement floue;
par exemple il pourrait ne pas être approprié
de considérer le reboisement pour un assortiment
de buts comme de la géoingénierie)
Il semble que les forêts des zones tempérées
de l'hémisphère nord capturent déjà
une quantité significative (~10 à 20%)
du carbone des combustibles fossiles. Les incertitudes
sur la dynamique du carbone dans les écosystèmes
forestiers limitent notre capacité à prédire
leur réponse au changement de climat et à
l'augmentation du CO2; il est en particulier incertain
si de tels changements accéléreraient
ou inverseraient la séquestration du carbone
dans les forêts. Capturer une fraction substantielle
du carbone des combustibles fossiles nécessiterait
une gestion intensive des forêts à très
grande échelle. Par exemple des forêts
de jeunes arbres à croissance rapide...
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...peuvent capturer ~5 tonnes C/ha-an dans des conditions
optimales. Pour capturer la totalité des émissions
anthropiques de CO2, environ 10 puissance 9 hectares
(1 milliard d'hectares) seraient nécessaires
- à peu près la surface actuelle de forêt
gérées. Afin de capturer le carbone continuellement
à ce rythme il serait nécessaire de se
débarrasser des arbres sans que leur carbone
ne retourne dans l'atmosphère. Des engrais seraient
nécessaires pour remplacer les nutriments enlevés
avec les arbres. Une gestion intensive des forêts
à cette échelle aurait un impact substantiel
sur les écosystèmes forestiers.
Évaluer la géoingénierie
La plupart des discussions sur la géoingénierie
se focalisent sur les estimations de la faisabilité
technique et les coûts approximatifs. Cependant,
il est probable que les questions de risque, de politique,
et d'éthique s'avèreront des facteurs
plus décisifs dans les choix réels sur
l'implémentation. Ceci est vrai à la fois
à cause des fortes réactions négatives
souvent provoquées par la plupart des propositions
de géoingénierie, et parce que beaucoup
de projets de géoingénierie sont peu coûteux
par rapport à la réduction ou à
l'adaptation.
Analyse des risques et des aspects économiques
Analyse naïve coût-bénéfice
Le calcul économique le plus simple pour la géoingénierie
est de calculer le "coût de la réduction"
- le rapport du coût sur la quantité d'atténuation
apportée (habituellement mesuré en dollars
par tonne de carbone atténué). Cette mesure
permet la comparaison entre les projets de géoingénierie
et entre la géoingénierie et la réduction
des émissions. Le tableau 1 comprend les coûts
d'atténuation pour divers systèmes. Les
coûts sont extrêmement incertains. Pour
les systèmes de modification de l'albédo,
des incertitudes supplémentaires sont introduites
par la conversion un peu arbitraire du changement d'albédo
en équivalent réduction de CO2.
L'examen des coûts de l'atténuation révèle
qu'ils varient de plus de deux ordres de magnitude entre
les différents systèmes, et que pour certains
(par exemple les aérosols stratosphériques),
les coûts sont
très faibles comparé à la réduction
ou l'adaptation. Cependant, de telles comparaisons
de coûts directs ont peu de signification étant
donné les très grandes différences
dans les aspects non financiers de ces réponses
au changement de climat; par exemple, les risques d'effets
annexes, la certitude des effets, et la distribution
sociale des coûts.
La géoingénierie comme stratégie
de repli
Se concentrer sur le coût marginal de l'atténuation
permet une comparaison plus significative entre la géoingénierie
et la réduction. Bien que le coût de la
réduction soit incertain, il y a beaucoup moins
de doutes sur les coûts des gammes d'atténuation
avec le niveau de réduction requis. Alors que
les méthodes économétriques et
techniques pour estimer le coût d'une réduction
modérée diffèrent radicalement,
le deux sont d'accord sur le fait que les coûts
augmenteront abruptement si nous voulons réduire
les émissions de CO2 de plus de 50%. Par contraste,
certains systèmes de géoingénierie
(par exemple la modification de l'albédo) ont
des coûts marginaux qui, bien que fortement incertains,
sont à peu près indépendant de,
et pourraient même diminuer, avec la quantité
d'atténuation apportée. D'autres systèmes
(par exemple la séquestration du CO2) ont des
coûts marginaux qui sont initialement plus élevés
que la diminution, mais qui augmentent plus lentement.
Ces relations sont illustrées figure 1.
La géoingénierie pourrait servir de stratégie
de repli en plaçant une limite supérieure
sur les coûts de l'atténuation si le changement
de climat était plus grave que ce à quoi
nous nous attendons. Dans ce contexte, une stratégie
de repli doit soit fournir un effet plus certain, soit
être plus rapide à implémenter,
ou apporter une atténuation illimitée
à un coût fixe marginal. Les
différents systèmes de géoingénierie
répondent tous à ces critères.
La notion de géoingénierie comme option
de repli apporte une justification principale - ou peut
être la seule - pour considérer sérieusement
la géoingénierie à grande échelle.
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Estimation des risques
Les questions sur la sagesse de la géoingénierie
sont axées sur les risques: risque d'échouer
et risque d'effets annexes. Les prévisions climatiques
sont trop incertaines pour permettre une estimation
quantitative des risques.
Cependant, si un système de géoingénierie
fonctionne en imitant un processus naturel, nous pouvons
faire une estimation qualitative du risque en comparant
la magnitude de l'effet d'ingénierie avec la
magnitude et la variabilité du processus naturel,
puis supposer que des perturbations similaires entraînent
des résultats similaires. Par exemple, la quantité
de sulfate relâchée dans la stratosphère
par un système de géoingénierie
et la quantité relâchée par une
grosse éruption volcanique sont similaires. Nous
pouvons estimer la magnitude de la perte d'ozone stratosphérique
par analogie.
Même des estimations qualitatives approximatives
des risques peuvent donner un aperçu des mérites
relatifs des différents systèmes de géoingénierie
quand elles sont examinées conjointement avec
d'autres variables. Le tableau 2 illustre ceci avec
une comparaison des risques et du prix.
Considérations politiques
La réalité politique capitale de la géoingénierie
est que, contrairement aux autres réponses sur
le changement de climat (par exemple la réduction
ou l'adaptation), la géoingénierie pourrait
être implémentée par un ou quelques
pays agissant seuls. Différents sujets d'inquiétude
politiques émanent de ce fait en ce qui concerne
la sécurité, la souveraineté et
la responsabilité; ils sont résumés
brièvement ci-dessous.
Certains systèmes de géoingénierie
soulèvent des inquiétudes directes pour
la sécurité; les écrans solaires
par exemple pourraient être utilisés comme
des armes offensives. Un autre problème de sécurité
plus subtile mais peut être plus important résulte
des liens de plus en plus fort entre le changement environnemental
et la sécurité. Qu'ils soient ou non réellement
responsables, les opérateurs d'un projet de géoingénierie
pourraient être accusés d'évènements
climatiques nuisibles qui pourraient être attribué
avec vraisemblance - par un groupe lésé
- à la géoingénierie.
Étant donné les conflits politiques actuels
résultants de problèmes tels que la diminution
des pêcheries et des puits souterrains, il semble
vraisemblable qu'un projet unilatéral de géoingénierie
pourrait apporter des tensions politiques significatives.
En général, les lois internationales
ont peu de rapport avec la géoingénierie.
Cependant, Bodansky (1996) fait remarquer que plusieurs
propositions spécifiques pourraient être
couvertes par des lois existantes; par exemple, le Traité
de l'Antarctique pourrait s'appliquer à la fertilisation
des eaux antarctiques, et le Traité sur l'Espace
Extra-atmosphérique de 1967 pourrait s'appliquer
à l'utilisation d'un bouclier spatial.
Comme les négociations actuelles de la Convention
Cadre sur le Changement de Climat, la géoingénierie
soulèverait des questions d'équité.
Dans ce cas, la géoingénierie pourrait
simplifier la politique. Comme Tom Schelling (1996)
l'a fait remarquer, la géoingénierie "...transforme
totalement la question de l'effet de serre d'un régime
de régulation extrêmement complexe en un
simple - pas nécessairement facile mais simple
- problème de partage international des coûts".
On doit noter que tous les systèmes de géoingénierie
ne sont pas applicables à une implémentation
centralisée. Par exemple, la gestion du carbone
nécessite une implémentation diffuse aux
sources de combustion de combustible fossile.
Éthique
Les discussions sur la géoingénierie provoquent
habituellement de fortes réactions négatives.
Dans la communauté
d'analystes politiques, par exemple, il y a eu des débats
ardents pour savoir si les discussions sur la géoingénierie
devaient être incluses dans les communiqués
publics qui présentent les réponses possibles
au changement de climat. Des craintes ont été
exprimées sur le fait que leur inclusion dans
de tels communiqués pourrait influencer les décideurs
politiques qui la considéreraient alors trop
sérieusement, et peut être différer
les actions sur la diminution étant donné
la perception de la géoingénierie comme
alternative (voir Schneider, 1996, pour les discussions
sur le débat au sujet de la géoingénierie
du comité de l'ANS de 1992). Alors que ces inquiétudes
sont indubitablement sérieuses et importantes,
il est difficile de démêler leurs différentes
origines et, en particulier, de séparer les inquiétudes
pragmatiques de celles éthiques.
Beaucoup d'objections à la géoingénierie
citées comme "éthiques" ont
essentiellement une base pragmatique. Trois des plus
fréquentes sont:
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-L'argument de la pente glissante. Si nous choisissons
des solutions de géoingénierie pour contrer
le changement de climat induit par l'homme, nous ouvrons
la porte à de futurs efforts pour altérer
systématiquement l'environnement global pour
s'adapter aux humains. C'est un argument pragmatique,
parce qu'à l'avenir nous serons aussi libres
que nous le sommes maintenant pour choisir à
quel degré nous souhaitons utiliser la géoingénierie.
Un argument éthique doit définir pourquoi
une telle manipulation environnementale à grande
échelle est mauvaise, et comment elle est différente
de ce que l'humanité est déjà en
train de faire.
-L'argument de l'inadaptation. La géoingénierie
est une "réparation technique", inadaptée,
ou une solution ultime. Plutôt que d'attaquer
le problème causé par l'utilisation des
combustibles fossiles, le but de la géoingénierie
est d'ajouter de nouvelles technologies pour contrer
leurs effets secondaires. De telles solutions sont habituellement
perçues comme indésirables par nature
- mais pas pour des raisons éthiques.
-L'argument de l'imprévisibilité. La
géoingénierie implique de "bricoler"
un système complexe mal compris: puisque nous
ne pouvons pas prédire correctement les résultats,
ce n'est pas éthique pour les géoingénieurs.
Parce que nous perturbons déjà le système
climatique avec des conséquences non prévisibles,
cet argument dépend de la notion que la manipulation
intentionnelle est d'une nature pire que la manipulation
qui se produit de façon secondaire.
On peut analyser la géoingénierie en utilisant
des normes éthiques courantes; par exemple; on
pourrait considérer les effets de la géoingénierie
sur l'équité inter-générations,
ou sur le droit des minorités (par exemple les
habitants des pays à basse altitude). Cependant,
ces modes d'analyse ne disent rien de particulier sur
la géoingénierie et pourraient être
appliqués d'une manière similaire à
beaucoup d'autres choix technologiques. Certaines personnes
pourraient soutenir que de telles analyses échouent
à aborder une horreur éthique particulière
qu'elles ressentent envers la géoingénierie
et que nous devrions considérer une analyse éthique
qui aborde la géoingénierie en particulier;
par exemple, une éthique environnementale.
Les formulations les plus simples de l'éthique
environnementale proviennent par extension des principes
éthiques habituels qui s'appliquent entre les
humains. Un des résultats est "les droits
de l'animal" dans une de ses variantes; par exemple
Regan (l'Affaire des Droits de l'Animal, Presse de l'Université
de Californie, Berkley 1983). De telles formulations
établissent des "droits" ou des "valeurs
morales" pour les individus. Quand appliqué
à une décision à grande échelle
telle que la géoingénierie, une analyse
éthique basée sur les individus se réduit
à un problème d'évaluation des
droits ou des commodités conflictuels. Comme
pour les analyses qui sont basées sur des normes
éthiques plus traditionnelles, une telle analyse
n'a aucun rapport spécifique avec la géoingénierie.
Une formulation alternative, et plus controversée,
de l'éthique environnementale situe la valeur
morale dans les systèmes d'individus, telle qu'une
communauté biotique ou d'espèces (voir
par exemple Callicot, Défense de l'Éthique
des Terres, presse Suny, Albanie 1989). Il est vraisemblable
qu'une telle formulation de l'éthique environnementale
pourrait plus directement aborder l'éthique de
la géoingénierie.
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