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Parce que la régulation contre le changement
de climat nécessite énormément
de volonté et de coordination, et parce que l'incertitude,
le coût, l'équité et d'autres facteurs
menacent l'implémentation efficace d'un programme
de style Kyoto, une approche basée uniquement
sur la régulation est dangereusement myope. Même
les plus austères régimes de régulation
post-Kyoto ne peuvent éviter une probable augmentation
de température de 2 à 3°F durant le
prochain siècle, et la plupart des observateurs
estiment que des plans plus politiquement faisables
produiront une augmentation entre 3 et 8°F.
Au lendemain de Kyoto, le
moment est maintenant arrivé d'étendre
notre horizon politique pour y inclure la géoingénierie,
la manipulation directe du système climatique,
comme une alternative sérieuse aux régulations
inefficaces et controversées. Autrefois
ridiculisée comme de la science-fiction, la géoingénierie
a dernièrement commencé à mériter
de sérieux débats dans la littérature
académique, scientifique et économique
et a obtenu le soutien pragmatique de personnalités
telles que Edward Teller, Wallace Broecker, William
Nordhaus et Stephen Schneider.
Deux propositions ont fourni des données scientifiques
encourageantes: celle souvent décriée,
ensemencer l'océan de limaille de fer pour stimuler
la croissance de phytoplancton consommateur de carbone
et "l'écran
solaire", qui demande l'émission contrôlée
de particules de poussière pour réfléchir
la radiation solaire et progressivement refroidir la
terre, simulant "l'effet Pinatubo",
contrebalançant l'effet de serre, mesuré
au lendemain de l'éruption du mont Pinatubo en
1991.
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D'un point de vue politique - ce qui est le centre de
cet article - la géoingénierie, bien que
peut être paradoxale, devrait être très
attractive à la fois pour les "vrais croyants"
de l'effet de serre et pour les plus ardents sceptiques.
Pour les sceptiques et les décideurs politiques,
la géoingénierie
offre une alternative relativement indolore et bon marché
par rapport aux régulations coûteuses et
impopulaires. Autoriser des avions à voler
de façon plus sale (la proposition d'"écran
solaire") pourrait impliquer des coûts de
mise en application et secondaires, mais comparé
avec les bouleversements économiques associés
à des réductions même modestes d'émission
de dioxyde de carbone c'est une affaire, spécialement
si l'implémentation peut être retardée
pendant que l'incertitude au sujet du changement de
climat diminue.
Une politique de géoingénierie peut fonctionner.
Certes elle ne fait pas payer les pollueurs ou arrêter
la destruction des forêts anciennes. Et comme
discuté ci-dessous, il
y a de sérieuses inquiétudes écologiques
associées avec la manipulation du système
climatique de la terre.
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William D. Nordhaus estime que le coût des taxes
sur le carbone, nécessaires pour provoquer la
réduction "optimale" des gaz à
effet de serre des niveaux incontrôlés
actuels de 9% dans un futur proche jusqu'à 15%
plus tard durant le prochain siècle, devraient
commencer à 5$ par tonne de carbone et augmenter
à 20$ par tonne. Étant donné les
émissions de carbone actuelles d'au moins 9 milliards
de tonnes par an, de telles taxes sur le carbone engendreraient
un coût marginal de 45 milliards de dollars annuellement.
Considérant l'estimation de Nordhaus de 5600
milliards de dollars comme coût total dans le
cas d'un changement de climat continuel au rythme actuel,
taxer les émissions à ce niveau apporterait
des bénéfices nets annuels sous certaines
conditions, mais seulement après que les bénéfices
incertains de demain soient réalisés.
Les taxes sont payées aujourd'hui. Des réductions
plus spectaculaires sont encore plus coûteuses.
Nordhaus estime que stabiliser les émissions
de gaz à effet de serre aux niveaux de 1990,
comme vivement conseillé par la Convention sur
le Changement de Climat, nécessiterait une taxe
sur le carbone commençant à 10$ par tonne
mais augmentant en 20 ans à 90$ par tonne, pour
un coût annuel marginal en 2015 de 810 milliards
de dollars, ce qui - prétend Nordhaus - apporte
une perte globale annuelle de 762.5 milliards de dollars.
Au contraire, Nordhaus estime les bénéfices
nets d'une politique réussie de géoingénierie
à 224 milliards de dollars, dépassant
de loin même son régime de régulation
optimal.
Page 13
Il vaut la peine de répéter, cependant,
que ne rien faire - même dans le modèle
relativement conservateur de Nordhaus - apporte aussi
des coûts extrêmement élevés:
Nordhaus estime le coût total suite au changement
de climat , si nous ne faisons rien, à approximativement
5600 milliards de dollars.
Page 14
Puisque la concentration existante de richesse est largement
le résultat des activités maximisant la
richesse de la manière la plus efficace - activités
souvent liées à des pratiques environnementales
destructrices - ceux ayant le plus à gagner dans
le statu quo, y compris le service public, l'industrie
lourde et autres de ce genre, absorberaient probablement
la plupart des coûts d'un régime de régulation.
La régulation,
en bref, amène ceux qui ont le plus d'influence
à être les plus opposés aux efforts
de réduction.
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Le pôle opposé à l'alternative "structurellement
profonde" de la régulation contre le changement
de climat est l'adaptation: nous pourrions juste attendre
et voir. À un certain moment, si les prédictions
sont correctes, le changement de climat aura des effets
désastreux sur beaucoup de gens, et de moins
coûteux, mais cependant sérieux, sur beaucoup
d'autres. À ce moment, le changement de climat
cessera d'être un problème absent. Dans
un tel contexte, obtenir un consensus sur la régulation
préventive sera probablement plus facile, particulièrement
si certaines des prédictions les plus sinistres
- élévation du niveau des mers, méga-tempêtes
- se produisent. Pendant que nous attendons pour que
de telles actions prennent effet, il est tout à
fait possible pour l'être humain de simplement
s'adapter à un monde en transformation, au moyen
de barrages, par le changement de l'organisation de
l'agriculture ou par d'autres méthodes.
Deux problèmes centraux s'acharnent sur la stratégie
d'adaptation. Premièrement, l'adaptation est
un pari extrêmement risqué. Aucun écologiste
ou économiste censé, après une
étude approfondie des faits pertinents et des
incertitudes associées au changement de climat,
ne peut légitimer une solution "ne rien
faire". Même en écartant les maux
prévus dus au changement de climat par notre
incertitude en ce qui concerne son ampleur, les moins
opposés au risque parmi nous choisiraient encore
rationnellement certaines actions préventives,
bien qu'associées avec des stratégies
d'adaptation. Le second problème avec l'adaptation
est qu'elle forcera inévitablement à faire
des choix difficiles qui condamneront probablement beaucoup
d'écosystèmes à la destruction.
Les choix de Hobson abonderont: est ce que nous dépensons
nos ressources limitées à sauver la forêt
équatoriale de la sécheresse, ou à
sauver Rio de Janeiro, où des centaines de milliers
de personnes vivent, des inondations? En supposant que
les vies humaines auront encore la priorité,
la stratégie d'adaptation condamne la forêt
équatoriale, les estuaires, les zones proches
d'un court d'eau et tout les autres écotones
qui sont incapables de s'adapter ou de se déplacer.
Nous pouvons être capables de sauver Miami Beach
mais les Everglades seront probablement enfoncés
(peut être littéralement). L'adaptation
signifie réellement "laissons la nature
brûler".
Insatisfait par cet anthropocentrisme hyper-darwinien,
la suite de cet article va examiner une troisième
alternative à la régulation: aborder
le changement de climat comme un problème qui
peut être directement atténué grâce
à des moyens technologiques. Répétons
le, la technologie est une stratégie de réduction
de la source aussi bien qu'un remède - et des
analyses utiles ont considéré la faisabilité
des combustibles alternatifs et d'autres moyens moins
coercitifs d'affecter le problème. Mais cet article
veut se concentrer sur la technologie telle qu'elle
est utilisée dans la géoingénierie:
une politique de non-régulation
pour la réduction du changement de climat.
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L'insuffisance prévue du régime de réduction
des émissions de Kyoto et les problèmes
de l'absence, du coût et des motivations discutées
partie 2, réclament une alternative à
notre état présent de myopie politique
sur le changement de climat. La
géoingénierie - manipulation intentionnelle
dirigée par l'homme du système climatique
de la terre - pourrait être une de ces alternatives.
Cette partie propose que, contrairement à un
"Plan Marshall" coûteux de réduction
des émissions, à des subventions technologiques
et à d'autres mesures de réduction, un
"Projet Manhattan" de non-régulation
destiné à développer des remèdes
possibles contre le changement de climat à l'aide
de la géoingénierie peut efficacement
réduire le réchauffement global et éviter
beaucoup de ses plus extrêmes conséquences.
À quoi ressemblerait un Projet Manhattan contre
le changement de climat? Dans un premier temps, il consisterait
en une modification des priorités des agences
environnementales existantes sur le changement de climat:
sans plus de recherche pour savoir si le globe se réchauffe,
sans davantage de négociations et de programmes
d'incitations impopulaires, et vers des recherches sur
comment résoudre le réchauffement global
si il se produit. D'une certaine façon cette
phase a déjà commencé, la géoingénierie
s'est déplacée des pages de science-fiction
vers les journaux scientifiques et politiques respectables.
Une des propositions les plus encourageantes aujourd'hui
se concentre sur la création de vastes puits
de carbone en stimulant artificiellement la croissance
du phytoplancton grâce à des "fertilisants"
à base de fer dans une partie des océans.
Une autre proposition suggère de créer
des "Mont Pinatubo" miniatures artificiels
en autorisant les avions
à relâcher des particules de poussière
dans l'atmosphère supérieure, simulant
l'éruption du Mont Pinatubo de 1991 qui a bloqué
l'effet de serre. De telles découvertes, bien
qu'encourageantes, restent à un niveau très
préliminaire. La phase I d'un Projet Manhattan
contre le changement de climat serait une "sérieuse
considération de la géoingénierie"
par des efforts coordonnés de la communauté
scientifique.
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D'après un expert en géoingénierie,
"nous ne comprenons pas réellement bien
le climat, nous ne voulons donc pas démarrer
quelque chose quand la
cure pourrait être pire que la maladie".
Il y a aussi d'importantes questions politiques qui
doivent être abordées dans la première
phase d'un Projet Manhattan contre le changement de
climat. Comment la géoingénierie sera-t-elle
financée? Comment sera-t-elle contrôlée?
Qui sera finalement responsable, au
cas où des effets secondaires en résulteraient?
De telles questions sont importantes, mais ce sont des
questions que nous avons à peine commencé
à poser. En dépit de la popularité
grandissante de la géoingénierie dans
beaucoup de milieux, le discours politique n'en est
encore qu'à ses débuts. Exclure la science
des "laxatifs pour les océans" ou des
"miroirs géants dans l'espace" maintenant
est autant absurde que de nier que l'homme puisse jamais
marcher sur la lune, ou créer une voiture sans
chevaux fonctionnelle.
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Une certaine coordination et/ou surveillance sera nécessaire,
particulièrement sur les effets
secondaires.
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Les problème absents tendent à être
ignorés jusqu'à ce qu'ils soient présents,
spécialement quand les coûts de traiter
ces problèmes sont élevés. Dans
un tel cas un besoin se fait sentir pour qu'une approche
qui puisse être faisable soit mise en place quand
le problème en question devient visible. En d'autres
mots, une solution curative est nécessaire, plutôt
qu'une action préventive.
La géoingénierie représente une
telle solution. Elle est curative, pas dans le sens
où elle autorise l'action à être
reportée après que les marées aient
monté ou que les récoltes aient échoué,
mais dans le sens où elle remédie à
un problème (potentiellement présent)
plutôt que de prévenir celui absent. Comme
telle, la géoingénierie est une affaire
non de pronostic et de prévention - comme l'est
la régulation - mais de diagnostic et de traitement.
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Alors que la phase de déploiement de la géoingénierie
pourrait prendre moins de temps pour produire un effet
que la régulation préventive, la recherche
initiale devrait commencer sans délai. Évidemment
nous ne pouvons pas attendre jusqu'à ce que le
climat ait changé radicalement avant de rechercher
les moyens de résoudre le problème.
En minimisant les incertitudes associées aux
prédictions sur l'ampleur de la réduction
des gaz à effet de serre nécessaire aujourd'hui
pour produire un effet d'ici quarante ans, la géoingénierie
réduit grandement les effets politiques de l'absence
de changement de climat. Nous devons développer
la roulette maintenant afin qu'elle soit prête
quand la carie survient, en termes politico-économiques
c'est quand même plus facile que d'essayer d'arrêter
de manger des bonbons.
Les analyses économiques et scientifiques sur
la géoingénierie ont suggéré
que, en dépit du prix probablement élevé
sur l'étiquette pour le développement
et le déploiement de la "Grande Solution",
la géoingénierie
est bien moins coûteuse que les autres options
politiques contre le changement de climat. Un
ensemencement massif du phytoplancton de l'océan
ou un programme périodique de distribution de
particules de matière dans l'atmosphère
peut être moins cher que de simplement conserver
les combustibles fossiles, pas parce que la solution
géoingénierie est peu coûteuse mais
parce que les coûts sociaux et économiques
de la conservation sont très élevés.
Contrairement aux intuitions, la géoingénierie
peut ne pas être coûteuse du tout. Bien
qu'il soit bien trop tôt pour se hasarder à
des suppositions financières, distribuer suffisamment
de particules de matière pour égaler les
20 millions de tonnes de poussière du Mont Pinatubo
peut être fait - une proposition suggère
- simplement en modifiant
les avions commerciaux ordinaires pour voler de façon
plus sale. Les 430000 tonnes de fer pour ensemencer
les océans qui sont susceptibles d'être
nécessaire pour compenser les 3 milliards de
tonnes de carbone que les humains relâchent dans
l'atmosphère chaque année ne sont pas
non plus une dépense majeure; il
n'y a rien à propos de la géoingénierie
qui en principe la rende inabordable. En fait,
bien que Nordhaus donne à la géoingénierie
un traitement limité dans son travail, il estime
les bénéfices nets d'une politique de
géoingénierie réussie, si technologiquement
faisable, à 224 milliards de dollars, dépassant
largement son propre régime "optimal"
de régulation.
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La géoingénierie, par contraste avec la
régulation, laisse les puissants dirigeants et
leurs intérêts relativement intacts. Pour
cette raison, il est logique de conclure qu'une solution
géoingénierie sera bien moins offensive
pour eux, et donc qu'elle a de plus grandes chances
de réussite.
La géoingénierie, même si elle devait
coûter plus cher maintenant, apporterait de plus
faibles coûts politico-économiques globaux
que des solutions législatives parce que les
coûts répartis sont relativement mineurs
pour les acteurs avantagés. En termes politico-économiques,
réussir à Wall Street est un atout significatif.
Même si la géoingénierie était
coûteuse, et même si elle n'était
pas supérieure à la régulation
du changement de climat en terme d'effet sur les élites,
elle pourrait encore être la stratégie
disponible la moins coûteuse en termes politico-économiques
parce qu'elle n'apporte presque aucun coût social.
Personne n'a besoin de changer de style de vie, de prendre
un bus au lieu d'une voiture ou de payer plus à
la pompe à essence pour combattre le changement
de climat si la géoingénierie peut compenser
les effets climatiques du laisser-faire habituel.
Pour un décideur politique, les coûts
d'une politique ne sont pas seulement les investissements
financiers immédiats ou les sacrifices nécessaires,
ils incluent les effets sociaux et politique de l'implémentation.
Contrairement à la réduction de l'usage
des automobiles aux États-Unis par exemple, avec
son avalanche d'effets économiques et son interférence
perçue avec les comportements consommateurs occidentaux,
ensemencer de la limaille de fer dans la mer et étaler
des particules de matière dans le ciel apporte
de très faibles coûts sociaux.
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Certains pourraient argumenter que, en fait, les pays
en voie de développement n'auraient dans aucun
cas à faire beaucoup de changements dans le cas
d'un traité sur le changement de climat bien
négocié, et pourraient vraiment profiter
d'un régime de régulation dans la mesure
où les plus gros producteurs et exportateurs
seraient limités. Dans un monde idéal,
par exemple, l'Inde pourrait être capable de continuer
à se développer avant d'atteindre sa limite
de production de gaz à effet de serre, alors
que les États-Unis auraient à imposer
des limites significatives sur l'industrie, les transports
ou d'autres activités productrices de carbone.
L'Inde pourrait alors profiter d'une période
pendant laquelle elle deviendrait bon marché
et où il serait plus profitable d'y investir
qu'aux États-Unis.
Cet argument en faveur de la régulation basée
sur l'équité est criblé de trous.
Premièrement, si les expériences passées
servent de guide, il est naïf de s'attendre à
ce qu'un tel arrangement irrationnel émerge de
négociations internationales. Les pays protègent
leurs propres intérêts, et les plus puissants
le font le plus efficacement. Sûrement, s'il y
avait quelque avantage que ce soit pour les pays en
voie de développement, le "Nord" se
battrait avec acharnement. Le "monde idéal"
est un monde qui, étant donné les structures
présentes de l'arène des marchés
internationaux, n'arrivera jamais. Deuxièmement,
même l'arrangement le plus pro-Sud devrait imposer
des limites soit sur la croissance de sa population
soit sur sa production de carbone, puisque il est absolument
inconcevable pour un régime de régulation
de réussir dans un monde plein d'américains,
avec le niveau de consommation des américains.
Le "monde idéal" équitable est
en fait non seulement inexistant; il est incohérent
politiquement.
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Même le plus complexe des projets de géoingénierie
ne peut approcher la complexité de l'imposition
de régulations internationales contre le changement
de climat à cinq milliards et demi d'êtres
humains. Utiliser la
géoingénierie comme politique évite
donc la plupart des pièges de la "complexité"
associée à la régulation.
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Contrairement aux programmes conflictuels et aux intérêts
qui se dressent face aux restrictions sur la production
et la consommation, la géoingénierie nécessite
seulement des paiements financiers par les parties contributives.
De façon plus importante, la géoingénierie
minimise le besoin d'un "organisme international
d'imposition", un consortium pour définir
les limites, le calendrier, la structure, les conventions,
les buts ou les laborieuses négociations sur
les niveaux d'émission. Les institutions internationales
existantes sont assez bien adaptées pour la plupart
des engagements institutionnels requis par la géoingénierie,
tels que la surveillance et le financement. En fait,
il est concevable que
certains projets de géoingénierie puissent
être entrepris unilatéralement,
bien que les problèmes légaux internationaux
et politiques accompagnant une action unilatérale
affectant le climat du monde entier soient considérables.
La géoingénierie non seulement évite
le besoin d'agences internationales pour définir
et appliquer des règles; elle minimise complètement
le rôle du gouvernement, comparé à
un régime de régulation. En s'appuyant
sur l'innovation et le développement technologique,
la géoingénierie accroît le rôle
des acteurs privés par rapport à ceux
du gouvernement. La géoingénierie, au
lieu de nécessiter l'imposition généralisée
de règles complexes menaçant la croissance,
donne aux sociétés privées à
travers le monde une motivation financière pour
résoudre le problème du changement de
climat.
Une question institutionnelle vitale concernant les
propositions de géoingénierie est le statut
au niveau des lois internationales, qui pour l'instant
est incertain. Bien qu'aucune disposition ou loi internationale
ne mentionne actuellement la géoingénierie
spécifiquement, quelques commentateurs ont montré
que n'importe quel projet
unilatéral ou même multilatéral
de géoingénierie pourrait être illégal
dans la mesure où il cause des effets, bénéfiques
ou non, qui s'étendent au-delà des frontières.
Daniel Bodansky note également que les projets
de fertilisation des océans seraient sujets aux
clauses de la Convention sur la Loi de la Mer des Nations-Unies
de 1982 qui a établi des zones économiques
exclusives de 320 Km dans lesquelles toute recherche
maritime scientifique est exclue. L'ensemencement de
fer pourrait aussi être sujet au Système
de Traité Antarctique. Des mesures qui affectent
l'atmosphère directement, prétend Bodansky,
sont encore plus problématiques compte tenu des
lois et traités.
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De plus, la réponse comme quoi la géoingénierie
n'affecterait pas plus les biens communs que les activités
émettrices de gaz à effet de serre est
probablement intenable légalement, étant
donné que la géoingénierie est
une altération intentionnée du climat
de la terre, alors que les émissions de gaz à
effet de serre sont non-intentionnelles. Compliquant
davantage le problème, les diverses dispositions
souples des déclarations de Stockholm et de Rio,
qui, bien que soutenant en principe les efforts pour
atténuer le changement de climat, codent également
l'interprétation légale au niveau international
des précautions au sujet des perturbations des
processus naturels de la terre. Bodansky va aussi loin
que suggérer qu'obtenir les différentes
formes d'agrément nécessaires pour un
programme sérieux de géoingénierie
déclenche le "principe de précaution",
qui se dégage du débat sur les technologies
non familières au niveau des lois internationales.
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Concernant les effets secondaires, la prudence devrait
inspirer davantage de recherches, pas moins. Un "écran
solaire" global peut aussi causer des pluies acides
ou affecter la couche d'ozone, ou peut être pas:
les réponses des scientifiques sont nécessaires
pour les décideurs politiques. Bien sur, comme
chaque scientifique le sait, les "réponses"
sont plus souvent des estimations et des pronostics
que des résultats précis. Si les choses
se passent de cette façon à la fin de
la phase I d'un projet Manhattan contre le changement
de climat, alors la phase II devrait se poursuivre prudemment.
Dans le cas de la proposition de l'"écran
solaire" de poussière, nous pourrions procéder
graduellement, relâchant moins de poussière
que le mont Pinatubo l'a fait en 1991.
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Plusieurs réponses sur les objections concernant
le caractère contre nature sont possibles. Premièrement,
le besoin d'atténuer le changement de climat
pourrait simplement l'emporter sur la valeur esthétique
du monde naturel. Les coûts de supporter la disparition
des forêts et le déplacement des zones
d'agriculture ne sont pas des tactiques alarmistes,
mais des inquiétudes sérieuses qui pourraient
prévaloir sur les réserves éco-esthétiques
(ou même religieuses) sur un ciel fabriqué
par l'homme. Si les conséquences du réchauffement
global suivent les prévisions les plus graves
des "devins" de l'effet de serre, c'est certainement
le cas: peu pourraient insister sur l'intégrité
de Gaïa si des millions de gens (et d'animaux)
mourraient de faim. Deuxièmement, on pourrait
répondre de façon fataliste en notant
que la géoingénierie n'est pas plus une
altération directe de l'environnement que les
effets journaliers de millions de voitures et d'usines.
Tout refus de bricoler la nature est une illusion: nous
le faisons déjà, et la seule question
restante est: est ce que nous continuons de le faire
négligemment, ou commençons nous à
bricoler avec bienveillance. Il serait mieux de "laisser
le pré dans l'état", et de ne pas
déplacer des monticules de terre au moyen de
bulldozers, mais pas une fois que le pré a déjà
été éventré.
Enfin, on pourrait s'opposer aux esthètes de
la vie sauvage sur leurs propres termes en répliquant
que bien que la géoingénierie soit une
interférence hideuse avec la nature, elle en
supprime d'autres encore plus désagréables.
Le réchauffement global n'est plus simplement
une blessure esthétique abstraite. Bien que problématique,
la géoingénierie est en fait juste, dans
le contexte du réchauffement global, dans la
mesure où "une chose est juste quand elle
tend à préserver l'intégrité,
la stabilité et la beauté de la communauté
biologique".
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Bien qu'il soit possible
que la géoingénierie fonctionne, il est
aussi possible qu'elle ne fonctionne pas.
Dans la mesure où la "Grande Solution"
nous apaise en nous amenant à penser que nous
avons fait tout ce que nous devions faire au sujet du
réchauffement global, c'est, comme l'a dit un
environnementaliste, une politique classique grand risque-grand
bénéfice. Soit
elle fonctionne, soit nous aurons de sérieux
ennuis.
Nous ne devrions pas attendre jusqu'à ce que
le remède soit nécessaire avant d'explorer
l'option: nous devons construire la roulette avant que
la carie ne se développe. Si la phase I du projet
Manhattan contre le réchauffement de climat commence
maintenant, un ensemble de réponses raisonnées
aux nombreuses questions sur la géoingénierie
pourrait émerger bien avant le "point de
non-retour" pour la régulation du changement
de climat.
Nous devons commencer
maintenant. Les avocats ont raison de craindre
de mettre tous leurs oeufs dans le même panier
non testé, mais nous ne devons pas laisser tomber
le panier des émissions-réductions pour
attraper celui de la géoingénierie. Les
partisans de la géoingénierie doivent
prendre leur responsabilité pour assurer que
la politique ne dégénère pas en
tergiversations.
Je suppose que tout environnementaliste invétéré
qui a lu ceci jusqu'ici est, au mieux, troublé.
Je doute de les avoir convaincu que la géoingénierie
est la bonne politique pour l'atténuation du
changement de climat, et j'ai peut être seulement
planté quelques graines de malaise concernant
les espoirs de succès post-Kyoto. Un tel résultat
ne serait pas surprenant: la géoingénierie
va dans le sens contraire des idées fondamentales
profondément ancrées sur quels genres
de solutions politiques sont "justes" pour
les problèmes environnementaux. La géoingénierie
traite un symptôme, pas une cause. Elle est non-globaliste
par nature, se concentrant sur seulement un problème,
alors qu'ignorant intentionnellement les autres. Un
projet Manhattan contre le changement de climat cherche
essentiellement à guérir le cancer du
poumon avec les dernières technologies, alors
que le fumeur devrait simplement arrêter de fumer.
La géoingénierie semble plus que "mauvaise".
La vision étroite sur la géoingénierie
prive la communauté environnementale de la capacité
à résoudre d'autres problèmes critiques
en même temps que le changement de climat: la
déforestation et la surconsommation par exemple.
Sûrement, il est mieux de s'habituer à
l'idée de "vivre sobrement" que d'éparpiller
de la poussière dans le ciel ou ensemencer les
océans avec du fer, spécialement quand
vivre sobrement est de toute façon bon pour nous
tous.
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Dans le cas du changement de climat, utiliser l'intégrité
climatique de la biosphère comme point d'appui
est un risque: si les scientifiques ont raisons, nous
pourrions avoir de sérieux ennuis si les émissions
de gaz à effet de serre et la déforestation
(les "vraies cibles") ne sont pas réduites.
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Au long de cette étude, j'ai essayé de
suggérer que les 160 nations dont les représentants
se sont réunis en décembre dernier à
Kyoto ne sont pas si stupides ou égoïstes
pour ne pas comprendre les menaces du changement de
climat, et que l'insuffisance des résultats du
processus de Kyoto est au contraire le résultat
de problèmes fortement ancrés avec l'approche
régulatrice de la politique sur le changement
de climat. Le réchauffement global est un problème
absent extrêmement difficile, et modifier notre
comportement d'une façon nécessaire pour
le résoudre est complexe, coûteux et, pour
certains, contre-productif. Nous avons besoin d'une
alternative à la politique aveugle qui voit les
réductions d'émissions comme le seul chemin
vers la réduction du changement de climat. Bien
que la proposition pour un projet Manhattan contre le
changement de climat exposée dans cet article
pourrait ne pas être esthétiquement élégante
comme plan Marshall de stratégies préventives
contre le changement de climat, elle peut être
plus efficace. La manipulation directe du climat, par
ensemencement de fer, éparpillement de particules
ou d'autres mécanismes a l'avantage d'éviter
ou de minimiser le problème de l'absence, de
la difficulté et de la structure économique
qui contrarie les efforts d'implémentation des
régulations contre le changement de climat.
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Un projet de géoingénierie peut être
cher, peu fiable, dangereux, laid et imprudent - bien
que j'ai essayé de répondre à chacune
de ces objections dans la partie 4. Mais il en est ainsi
de beaucoup de remèdes pour une situation désespérée.
Il est vrai aussi, comme j'en ai discuté dans
la partie 5, que la géoingénierie
est une cure strictement conçue pour un problème
dont les causes réelles sont bien plus profondes.
Et il est vrai qu'un effet de levier pour s'occuper
de ces causes est perdu quand le risque menaçant
du changement de climat est supprimé par la géoingénierie.
Mais est ce que la santé de la biosphère
est vraiment une denrée que les environnementalistes
peuvent se permettre d'influencer?
Il peut aussi sembler que conduire moins ou couper
moins d'arbres est plus simple que d'éparpiller
de la poussière dans la stratosphère.
C'est certainement plus élégant. Mais
quand l'épée de Damoclès de la
disruption biotique massive est suspendue au-dessus
de nos têtes, nous devrions choisir quelque chose
qui fonctionne.
En étant réaliste, bien que les stratégies
de régulation prévues à Kyoto doivent
continuer à jouer leur rôle, nous avons
besoin de plus qu'un plan Marshall global de motivations
et de réductions pour éviter un potentiel
changement de climat désastreux. Nous avons besoin
d'un projet Manhattan. |