Faux Espoir
Pourquoi le captage et la séquestration du carbone
ne sauveront pas le climat
Le captage et stockage du carbone (CSC) vise à
réduire l'impact de la combustion des énergies
fossiles sur le climat en captant le dioxyde de carbone
(CO2) à partir des cheminées industrielles
des centrales pour l’enfouir ensuite dans le sol.
L’industrie minière prône activement
la généralisation de cette technologie
pour justifier la construction de nouvelles centrales
thermiques au charbon.
Le présent rapport, fruit d’une recherche
scientifique indépendante, démontre que:
Le CSC ne sera pas prêt à temps pour éviter
les pires impacts des changements climatiques.
Le CSC ne sera pas disponible à grande échelle
avant 2030. Or, pour éviter les pires retombées
des changements climatiques, les émissions mondiales
de gaz à effet de serre doivent diminuer à
partir de 2015, soit dans à peine sept ans.
Le CSC gaspille l’énergie. Cette technologie
consomme entre 10 et 40% de l’énergie produite
par une centrale. L’adoption du CSC à grande
échelle risquerait d’annuler les gains
d'efficacité des cinquante dernières années
et augmenter d’un tiers la consommation des ressources.
Le stockage du carbone en souterrain pose des risques.
Il est impossible de garantir un stockage sûr
et permanent du CO2. Un taux de fuite, même très
faible, pourrait saper tout effort d’atténuation
des changements climatiques.
Le CSC coûte cher. Il risque de doubler le coût
de fonctionnement d’une centrale et, par conséquent,
d’aboutir à une augmentation du coût
de l’électricité de 21 à
91%. De plus, les sommes consacrées au CSC réduiront
d’autant les investissements pour les solutions
durables aux changements climatiques.
Le CSC pose d’importants risques en termes de
responsabilité. Il constitue une menace pour
la santé, les écosystèmes et le
climat. L’importance de ces risques reste difficile
à cerner précisément.
Le défi climatique nécessite d’agir
de toute urgence. Selon les experts du domaine, pour
éviter les pires effets du dérèglement
du climat, les émissions mondiales de gaz à
effet de serre doivent atteindre un pic d'ici à
2015 avant de diminuer d’au moins 50% d'ici 2050,
par rapport aux niveaux de 1990. Le charbon demeure
le plus polluant de tous les combustibles fossiles et
la plus grande menace pour le climat. Si les projets
actuels d'investissement de centaines de milliards de
dollars dans des centrales thermiques se concrétisent,
les émissions de CO2 qui découlent de
la combustion du charbon augmenteront de 60% d'ici à
2030.
Les véritables solutions pour limiter les impacts
des changements climatiques sont l'efficacité
énergétique et les énergies renouvelables.
Il est possible de réduire considérablement
la demande énergétique par le biais de
mesures d’efficacité énergétique,
qui font économiser plus d’argent que n’en
coûtent leur mise en œuvre. Techniquement
exploitables, les sources d'énergie renouvelables
comme le vent, les marées et l'énergie
solaire sont en mesure de fournir six fois plus d'énergie
que la consommation mondiale actuelle, et pour toujours.
Le scénario énergétique de Greenpeace
présenté dans le rapport [R]évolution
énergétique prouve qu’il est possible
de réduire de près de moitié les
émissions mondiales de CO2 et de répondre
à la moitié des besoins énergétiques
mondiaux d'ici 2050 grâce aux énergies
renouvelables, combinées à une meilleure
efficacité énergétique.
Le CSC, une définition
Le CSC est un processus intégré qui s’articule
autour de trois éléments: le captage,
le transport et le stockage du carbone (incluant la
mesure, la surveillance et la vérification).
Le captage vise à produire un flux concentré
de CO2 pouvant être comprimé, transporté
et entreposé. Le transport du CO2 capté
jusqu’aux lieux de stockage s’effectue la
plupart du temps par gazoduc.
Le stockage du carbone capturé constitue la dernière
phase d’un tel processus. Il est prévu
de stocker l’essentiel du CO2 dans les sites géologiques
continentaux ou sous les fonds marins. L'élimination
des rejets de CO2 dans les océans a également
été
envisagée, mais cette méthode a été
écartée en raison de conséquences
importantes sur l'écosystème océanique
et des contraintes juridiques qui, de fait, l’interdisent.
Le CSC arrive trop tard
L’urgence climatique oblige à développer
des solutions applicables dès que possible à
grande échelle. Le captage du carbone n’en
est pas une. Comme l'a fait remarquer le Programme des
Nations Unies pour le Développement (PNUD): "Le
CSC arrive beaucoup trop tard sur le champ de bataille
pour aider le monde à éviter les dangers
des changements climatiques". À l'heure
actuelle, il n'existe dans le monde aucune centrale
de taille alimentée au charbon procédant
au captage du carbone, ni aucune disposant de fonctions
intégrées de stockage.
Le CSC sera techniquement exploitable à une échelle
significative au plus tôt en 2030. Le Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat
(GIEC) considère qu’une telle technologie
ne sera pas viable sur le plan commercial avant la seconde
moitié du siècle. Et, même à
cette époque, le captage du carbone ne pourra
traiter que 30 à 70% des émissions du
secteur électrique.
Les compagnies d'électricité et les services
publics avancent néanmoins l’argument du
CSC pour justifier leurs projets de construction de
nouvelles centrales thermiques au charbon, arguant du
fait qu’elles sont "prêtes pour le
captage du carbone". L'Agence internationale de
l'énergie (AIE) définit une usine prête
pour le captage comme "une usine pouvant être
équipée pour le captage du CO2, lorsque
les conditions économiques et réglementaires
requises seront en place". Une telle définition
fourre-tout permet à toutes les centrales d’être
théoriquement "prêtes pour le captage",
ce qui vide de son sens une telle désignation.
Le danger réel qui posent les centrales "prêtes
pour le captage", c’est la quasi-impossibilité
de voir les promesses d’installations a posteriori
se concrétiser. Toute installation après
coup s’avère coûteuse, inefficace
sur le plan énergétique, et nuit à
la rentabilité économique des centrales.
En outre, même s’il est techniquement possible
d’installer des dispositifs de captage du carbone
sur une usine, l’existence de lieux de stockage
accessibles n’est nullement garantie.
Si jamais le CSC finit par être opérationnel,
ce sera insuffisant, et trop tard.
Le CSC gaspille l’énergie
Le captage et stockage du carbone consomme une quantité
importante d'énergie, entre 10 et 40% de la capacité
d'une centrale électrique. Or une perte énergétique
de 20% implique donc la construction d’une nouvelle
centrale électrique pour quatre centrales existantes.
Avec une telle réduction en matière d’efficacité,
pour qu’une centrale thermique produise la même
quantité d'énergie qu’avant la mise
en place du CSC, il est nécessaire de procéder
à l’extraction, au transport et à
la combustion d’une quantité supérieure
de charbon.
Enfin, le CSC implique une utilisation accrue des ressources
naturelles. La consommation d’eau douce des centrales
électriques équipées de la technologie
de captage dépasserait de 90% celles des autres.
Les pénuries d'eau, déjà aggravées
par les changements climatiques, en seront d’autant
exacerbées. Globalement, le développement
à grande échelle du CSC pourrait annuler
les gains d'efficacité des cinquante dernières
années et augmenter d’un tiers la consommation
de ressources.
Le risque du stockage souterrain du carbone
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime
que la quantité de CO2 à capter et stocker
pour avoir des effets significatifs d’atténuation
sur le climat nécessite le développement
de 6000 projets (chacun d’eux devant permettre
d’injecter un million de tonnes de CO2 par an
dans le sol). À l'heure actuelle, il n’est
pas certain qu’il sera techniquement possible
de capter et d’enterrer une telle quantité
de carbone, dans la mesure où les sites de stockage
manquent ou sont trop éloignés des centrales.
Le coût de transport du CO2 sur des distances
supérieures à cent kilomètres sera
probablement prohibitif.
Or tout effort pour capter le CO2 perd son intérêt
s’il n’existe pas de lieux adéquats
et accessibles de stockage géologique. Et même
dans l’hypothèse où des centaines
de milliers de gigatonnes de CO2 pourraient être
stockées, rien ne permet de garantir une conception
et une gestion adéquates de ces lieux de stockage
en fonction de l’échelle de temps requise.
Enfin, la présence à long terme du CO2
dans les sites géologiques comporte un risque
de fuite. Pour le moment, personne ne peut quantifier
un tel risque avec précision, mais tout rejet
de CO2 a des conséquences sur l'environnement:
l’air, le sol et les eaux souterraines. Une fuite
continue, même si elle ne dépasse pas 1%,
pourrait réduire à néant les efforts
d’atténuation des changements climatiques.
Des mesures d’assainissement sont potentiellement
envisageables en cas de fuite de CO2, mais il n’existe
aucun antécédents ou évaluation
des dépenses à cet égard.
La fuite de CO2 survenue au lac Nyos au Cameroun en
1986, découlant d’un phénomène
naturel, illustre les risques posés par les fuites
de CSC. À la suite d'une éruption volcanique,
de grandes quantités de CO2, accumulées
au fond du lac ont été libérées,
tuant ainsi 1700 personnes et des milliers de têtes
de bétail sur un rayon dépassant 25 km.
Le coût du CSC nuit au financement des véritables
solutions
Les prévisions de dépenses pour le CSC
varient considérablement, mais, chose sûre,
c’est une technologie extrêmement coûteuse.
Le CSC nécessite des financements lors de la
construction de la centrale et des infrastructures pour
transporter et stocker le carbone. Les mécanismes
existants, comme le prix du carbone, devront être
majorés de manière significative (soit
multiplié par cinq par rapport au niveau actuel)
et être renforcés par d’autres mesures
d’incitation financières.
Le ministère de l’Énergie des États-Unis
calcule que l'installation de systèmes de captage
de carbone doublerait les coûts, ce qui se traduirait
par une hausse des prix de l'électricité
de 21 à 91% sur l’ensemble du territoire.
Les investissements financiers colossaux requis pour
lancer la technologie du CSC s’effectuent au détriment
des véritables solutions. Les recherches actuelles
indiquent que l'électricité produite à
partir des centrales au charbon équipées
de cette technologie sera plus chère que celle
provenant d'autres sources moins polluantes, comme l'énergie
éolienne ou l’exploitation durable de la
biomasse.
Au cours des dernières années, la recherche
et le développement du CSC ont fait exploser
les budgets des pays qui s’y sont consacrés.
Sur la même période, le financement des
technologies d’efficacité ou d’énergies
renouvelables a stagné, voire diminué.
Aux États-Unis, le ministère de l'Énergie
a demandé une augmentation budgétaire
de 26,4% pour les programmes relatifs au CSC (soit 623,6
millions de dollars US), réduisant dans le même
temps les budgets consacrés à la recherche
sur l’efficacité et les énergies
renouvelables de 27,1% (soit 146,2 millions US). L’Australie
possède trois des centres de recherche sur les
énergies fossiles, notamment celui qui se consacre
au CSC; il n’en existe aucun sur les technologies
des énergies renouvelables. Le gouvernement norvégien
a récemment engagé 20 milliards de couronnes
(4 milliards de dollars US) dans deux projets de CSC
au détriment d'un investissement dans les technologies
renouvelables.
L'argent dépensé pour le CSC n’est
de fait pas investi dans les véritables solutions
aux changements climatiques que sont les énergies
renouvelables. Même dans l’hypothèse
où le captage du carbone serait techniquement
possible, commercialement viable grâce à
un stockage à long terme et sans danger pour
l'environnement, cette technologie n’aurait qu’un
impact limité, pour un coût élevé.
En revanche, comme le rapport Futu[r]e Investment de
Greenpeace le démontre, en investissant dans
les énergies renouvelables, il est possible d'économiser
180 milliards de dollars US par an et de réduire
de moitié les émissions de CO2 d'ici à
2050.
CSC et responsabilité: un risque?
À grande échelle, l'application du CSC
pose des problèmes significatifs en matière
de responsabilité: effets néfastes sur
la santé, dommages aux écosystèmes
et contamination des eaux souterraines (pollution de
l'eau potable et augmentation de gaz à effet
de serre en cas de fuite). Il n'existe aucune méthode
fiable pour évaluer la probabilité ou
la gravité de tels risques. Les règlements
actuels ne les prenant pas en compte, les questions
concernant la responsabilité en cas d’accident
demeurent sans réponse.
L’industrie considère ces responsabilités
comme un obstacle au déploiement à grande
échelle du CSC et se garde d’investir pleinement
dans cette technologie tant qu’elle ne dispose
pas d’un cadre l’exonérant de toute
responsabilité à long terme. Le risque
paraît si élevé que certains services
d’utilité publique se refusent à
stocker le CO2 tant qu’ils ne sont pas exemptés
de responsabilité dès la sortie de ce
gaz de la centrale thermique. Les exploitants potentiels
demandent quant à eux que leur responsabilité
juridique pour le carbone stocké en permanence
ne dépasse pas dix ans.
Les partisans du CSC revendiquent une protection juridique
complète de la part des autorités publiques,
et notamment des mécanismes les protégeant
de toute poursuite judiciaire, un transfert de propriété
au gouvernement ou la fixation d’un seuil maximal
de dommages-intérêts à verser en
cas d’accident. Les contribuables devront alors
assumer les risques posés par les projets de
stockage du CO2 et payer pour les dommages qui pourraient
en découler.
Le monde dispose déjà de solutions pour
faire face au défi climatique
Les investissements dans le CSC menacent de verrouiller
le futur énergétique mondial dans une
incapacité à protéger le climat.
La priorité doit être donnée aux
technologies qui recèlent le plus grand potentiel
de réduction des émissions et qui garantissent
la sécurité énergétique:
l'efficacité énergétique et les
énergies renouvelables.
Le scénario de Greenpeace [R]évolution
énergétique démontre la possibilité
de réduire les émissions mondiales de
CO2 de près de 50%, grâce à la combinaison
des énergies renouvelables et d’une meilleure
efficacité énergétique, tout en
fournissant la moitié des besoins énergétiques
mondiaux d'ici 2050.
Les responsables politiques en charge des programmes
de lutte contre les changements climatiques sceptiques
face au CSC, sont aussi ceux qui sont plus confiants
dans les technologies renouvelables pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre;
74% d’entre eux font confiance au chauffage solaire
de l'eau, 62 % aux éoliennes off-shore et 60
% aux parcs éoliens côtiers.
Le marché des énergies renouvelables connaît
un essor sans précédent. Les progrès
technologiques des dernières décennies
ont permis d’intégrer pleinement les technologies
renouvelables telles que les éoliennes, les panneaux
solaires photovoltaïques, la biomasse et les centrales
thermiques solaires. Le marché des énergies
renouvelables enregistre une croissance exponentielle.
En 2007, l'investissement annuel mondial dans les énergies
renouvelables a dépassé 100 milliards
de dollars US.
Nombre de pays ont reconnu le véritable potentiel
de ces technologies pour protéger le climat et
développent des projets ambitieux pour engager
cette révolution énergétique sur
leur territoire. La Nouvelle-Zélande envisage
d'atteindre la neutralité carbone vers le milieu
du siècle. Les énergies renouvelables
et l'efficacité énergétique figurent
en tête de liste de leur projet, mais pas le CSC.
La Nouvelle-Zélande produit dores et déjà
70% de son électricité à partir
de ressources renouvelables et vise 90% d'ici 2025.
En Allemagne, l’utilisation d’énergies
renouvelables a triplé au cours de la dernière
décennie. Aux États-Unis, plus de 5200
MW d'énergie éolienne ont été
installés en 2007, représentant 30% des
nouvelles centrales électriques installées
au cours de cette période, soit une augmentation
de 45% en un an.
L’urgence climatique oblige à développer
des solutions applicables dès que possible à
grande échelle. Le captage du carbone ne figure
pas parmi ces solutions. C’est une technologie
hautement spéculative, risquée, et qui
ne sera probablement pas opérationnelle dans
les vingt prochaines années. Il est par conséquent
inacceptable et irresponsable d’utiliser le CSC
comme un écran de fumée pour justifier
la construction de nouvelles centrales au charbon. Les
centrales "prêtes pour le captage" constituent
une menace importante pour le climat.
Il est possible de combattre les changements climatiques,
si et seulement si nous réduisons notre dépendance
à l’égard des combustibles fossiles,
notamment au charbon. L'efficacité énergétique
associée au développement des énergies
renouvelables constituent des solutions sûres,
rentables, sans poser les risques liés au CSC,
et sont d’ores et déjà disponibles
pour réduire les émissions de GES, et
protéger ainsi le climat. |